Les lumières du Consumer electronic show (CES) de Las Vegas sont éteintes, mais les yeux de ses 170.000 participants déclarés continuent de briller. Tout est dans la démesure à la grande foire des produits électroniques, y compris l’espoir de faire fortune des nouveaux arrivants. Sans attendre, Amazon a annoncé que son assistant intelligent Alexa était désormais intégré à 200 millions d’appareils, Google que le sien était utilisé par 500 millions de personnes chaque mois. Rares sont les objets qui ne sont pas connectés ou sont annoncés l’être prochainement, même la pomme de douche n’y échappe pas.
La collecte des données personnelles est au centre d’un business qui s’annonce florissant et rien n’a vocation à lui échapper. Surtout pas nos données physiologiques et médicales, car le secteur de la santé fourmille d’innovations. Les médecins ont déjà dû s’adapter au fait que leurs patients s’informent directement sur Internet, ils vont avec les laboratoires d’analyse perdre dans l’avenir l’exclusivité de la mesure des paramètres de notre santé, et même parfois être supplantés dans leurs diagnostics. Au profit des GAFA qui investissent dans les deux sens du terme les activités médicales.
Résultat prévisible de cette vague, nos données vont nous appartenir de moins en moins, le rouleau compresseur du marketing passant par là, et toute tentative de restreindre ou de contrôler leur accès va avoir fort à faire. En témoigne d’ailleurs l’optimisme qui prévalait à Las Vegas à ce sujet, la collecte des données y étant considérée comme un mouvement de fond irrésistible. Fort à-propos, un sondage rassurant montrait que le principal obstacle à l’adoption des objets connectés réside dans la limitation de leur intelligence, et non pas dans l’accaparement des données personnelles.
Dans sa dernière chronique du Monde intitulée « Après le déni climatique, le déni inégalitaire », Thomas Piketty n’a certes pas tort de relever qu’il y a données et données, et que si certaines sont destinées à être disséminées à tous vents, d’autres sont l’objet d’une forte rétention. « Pour ce qui est de la statistique publique sur la répartition des richesses et la nécessaire redistribution, nous vivons en réalité dans un âge de grande opacité, savamment entretenue par tous ceux qui s’opposent à la réduction des inégalités », remarque-t-il en connaisseur.
Mesurer la concentration de la richesse, c’est bien et c’est désormais largement acquis. En faire autant des inégalités de répartition de cette richesse et des revenus suit naturellement. Cela ne passe pas uniquement par la collecte souvent pleine d’embuches des données qui y sont relatives, mais également par la mise en cause des indicateurs communément utilisés, comme Thomas Piketty le souligne également. Trompeurs, ils ne sont pas plus neutres que ne le sont les normes comptables. Faut-il à ce propos rappeler que l’IASB qui définit ces dernières est un organisme privé siégeant à Londres et de droit américain, inscrit dans le paradis fiscal du Delaware, où siègent les plus grands établissements financiers et les principaux cabinets d’audit sans avoir de compte à rendre à personne ?
Dissiper l’opacité est décidément une œuvre de salubrité publique.