Manger ou être mangées, tel est le dilemme devant lequel, à les entendre, les grandes banques européennes seraient placées. Certes, elles ne font pas le poids devant les mastodontes américains qui font la loi sur les marchés, ni en terme de capitalisation boursière, ni de retour sur capitaux propres (ROE). Mais la concentration qu’elles voient comme recours en ces temps de vache maigre question rendement rencontre de gros obstacles. Question vocabulaire, elles préfèrent d’ailleurs parler de « consolidation » pour ne pas rebuter.
Les faits sont là : la capitalisation boursière de JPMorgan est six fois supérieure à celle de BNP Paribas, et la Deutsche Bank, le champion allemand, n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été. Le ROE des banques européennes était l’année dernière de 7% selon l’Autorité bancaire européenne (EBA), à comparer avec le 16% des banques américaines. Cela donne une idée de la disproportion existante.
Face au rapport de force défavorable qui en résulte, les grandes banques européennes ne voient donc comme seule issue que la concentration. L’histoire récente de ces banques voulant être aussi grosses que le bœuf n’ayant pas été exemplaire, à voir la déconfiture de la Deutsche Bank et à observer la forte et incertaine implication de la Société Générale dans des produits structurés exotiques à la valorisation pochette surprise. Alors, aujourd’hui, c’est par l’acquisition d’un concurrent que passe la baisse des coûts et l’amélioration de la rentabilité qui sont en priorité recherchés. Les coûts de financement exceptionnellement bas n’y sont favorables pas pour rien. Une vague de concentration est inévitable en Europe.
Mais le paysage très diversifié de l’Europe ne s’y prête pas, d’un pays à l’autre les mesures de régulation diffèrent, ainsi que les lois sur les faillites et le traitement du crédit hypothécaire. Et l’Union bancaire est loin d’être achevée. A leurs côtés, les milieux d’affaires européens appellent à la création de banques universelles solides, ayant également besoin d’affronter dans de meilleures condition la compétition économique alors qu’ils sont trop dépendants du dollar et inquiets devant les prétentions juridiques extra-territoriales américaines.
Afin d’y répondre, le système bancaire va-t-il être, à sa manière et pour défendre ses intérêts, le moteur d’une singulière poursuite de la construction européenne ? Ses grands acteurs le voudrait bien et on peut leur faire confiance, ils vont s’y employer. À ceci près qu’il y a concentration et concentration, car les régulateurs ne sont pas favorables à l’apparition de géants « too big to fail », alors que les plus grandes banques ont déjà des tailles de bilan supérieures au PIB des pays membres de l’Union européenne. Une chose est de regrouper des petites banques, à l’espagnole et demain à l’italienne ou l’allemande, une autre est de fusionner des mastodontes. Mais les régulateurs feront-ils vraiment le poids ?
Frédéric Oudéa, le PDG de la Société Générale, n’ignore pas que la meilleure défense est l’attaque. Or celle-ci n’est pas au mieux de sa forme, sa capitalisation inférieure de 40% par rapport à il y a trois ans, ses activités de banque d’investissement posant question en pleine restructuration. Afin de ne pas être catalogué comme une cible, il s’est déclaré et a posé ses jalons dans le Financial Times, mais il faut être deux pour se marier et les opportunités ne sont pas légion. Le PDG louche sur Commerzbank et UniCredit, qui s’y refusent, ce n’est pas nouveau et ne débouche pas.