Mario Draghi est sur le départ et il y a deux manières de le saluer. En l’encensant pour avoir sauvé l’Europe ou en recherchant ce qu’il laisse en plan, qui a été plus discrètement évoqué en premier lieu.
Son rôle de sauveur et sa qualification de prêteur en dernier ressort ont été suffisamment soulignés pour qu’il soit plus opportun de s’intéresser à l’autre aspect de son bilan, à ce qu’il n’a pas pu ou su faire. Vient immédiatement à l’esprit la faiblesse de l’inflation, puisque la mission principale de la BCE est d’être le gendarme de la monnaie. Or les explications données à son sujet restent très vagues, comme si on ne savait pas l’expliquer et donc y remédier, et d’ailleurs rien n’y a fait. Il aurait mieux fallu carrément modifier l’objectif d’inflation pour tenir compte des faits, comme il est discuté ici où là.
Concernant une autre faiblesse, celle de la croissance, il y a au contraire un trop plein d’explications, ce qui n’a pas donné pour autant de clé pour la doper. À moins d’incriminer la guerre commerciale – ce qui est un peu court – et de déplorer l’absence de relance budgétaire, ce dont Mario Draghi ne s’est pas privé sans plus de résultat. D’ailleurs, interrogé pour savoir quel conseil il pourrait donner à Christine Lagarde qui va lui succéder, il a nié qu’il soit nécessaire de lui en prodiguer, tout en ne se privant pas de préconiser, en guise de conclusion à sa mandature, que cette relance devait être le fruit d’un « outil budgétaire centralisé ». Comme si par l’accent mis sur ce sujet il indiquait à son successeur sa tâche essentielle.
En réalité, Mario Draghi est parti à temps, léguant à son successeur l’accroissement des déséquilibres internes à la zone euro provenant de divergences d’intérêt grandissantes entre ses dix-neuf membres. À l’Est et au Nord, deux groupes de pression agissent désormais, le groupe de Višegrad et la reconstitution de l’historique Ligue hanséatique. Et, plus que la divulgation publique et réitérée des désaccords internes au Conseil des gouverneurs de la banque centrale, la lettre commune de six anciens de ses membres – allemand, autrichien, hollandais et français – en a donné une illustration, élargissant à deux Français le cercle de ceux que l’on appelle désormais « les faucons ». Les désaccords opposant les gouvernements allemand et français qui se multiplient – à propos du financement de l’OTAN et de la zone d’occupation turque en Syrie – en est un signe.
Durant toute la durée de son mandat, Mario Draghi a joué les équilibristes, à la tête de la banque centrale unique d’une zone euro hétérogène, sans pouvoir s’appuyer sur une entité politique européenne imparfaitement représentée par la Commission. Il a de ce point de vue joué par défaut le rôle de cette entité absente, une conduite qui va être de plus en plus difficile à tenir. Il a habilement utilisé la mission principale de la BCE pour faire marcher la planche à billets, pour appeler les choses par leur nom, et a pratiqué une fuite en avant monétaire mettant l’Europe dans les pas du Japon qui ne parvient pas à en sortir, la hantise de ceux qui le perçoivent. Ceux-ci notent à ce propos que sa dernière opération d’achats d’actifs (QE) n’a pas de fin programmée, renvoyant à la politique de la Banque du Japon.
Les banques centrales sont au bout de leur rouleau et ne peuvent avoir d’autre ambition que d’assurer tant bien que mal l’équilibre du système financier. Mario Draghi l’a entièrement dévidé, lui succéder ne va pas être aisé.