Les timides velléités d’évolution de la politique européenne se heurtent à l’intransigeance des partisans de son maintien, voire de son renforcement. On ne voit pas comment les divergences pourraient être résorbées, les riches, c’est bien connu, ne partagent pas.
Pour saluer le départ de Mario Draghi ainsi que l’arrivée de Christine Lagarde, les gouverneurs allemands et néerlandais de la BCE critiquent publiquement et avec une virulence jamais atteinte la reprise des mesures accommodantes de la banque centrale. Parallèlement, l’étude d’une révision des règles d’application du Pacte de stabilité et de croissance suggérée par le Comité budgétaire européen, un organe consultatif de la Commission, est prise avec des pincettes par les ministres des Finances européens.
Les opposants de la BCE ne sont pas totalement dans le faux lorsque Klaas Knot, le président de la Banque centrale néerlandaise, dénonce des mesures « disproportionnées par rapport à la conjoncture économique actuelle », voulant conserver des munitions pour le pire, tout en ajoutant « il y a de bonnes raisons de douter de leur efficacité » ; ou bien lorsque Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, remarque que « avec la décision d’acheter encore plus d’emprunts d’État, il sera encore plus difficile pour la BCE de sortir de cette politique. Plus elle dure et plus les effets secondaires et les risques (…) pour la stabilité financière augmentent ». Mais il n’est pas superflu de relever que ce sont les mêmes qui refusent l’adoption d’un plan de relance européen reposant sur les investissements et s’opposent à toutes les ouvertures en refusant de prendre le relais de la BCE comme réclamé.
Au sein de son conseil, les gouverneurs représentant ou proches des positions gouvernementales françaises, qui continuent de préconiser un tel plan dans le vide, ont joint leurs voix aux défenseurs des banques, Allemands en tête, dont la rentabilité est atteinte par les taux négatifs. En Allemagne, la polémique bat son plein à propos de la répercussion de l’application de ces taux aux dépôts des particuliers, conduisant le tabloïd Bild à caricaturer Mario Draghi sous les traits du « Comte Draghila » qui suce l’épargne des rentiers.
Olaf Scholz, le ministre allemand des Finances, a annoncé qu’il pourrait interdire aux banques d’imposer des taux négatifs sur les dépôts inférieurs à 100.000 euros, mais il a été contredit par la Bundesbank qui ne le souhaite pas afin qu’elles puissent améliorer leur rentabilité. Une dynamique est de fait engagée, 107 des 162 banques et caisses d’épargne du pays répercutent entièrement ou partiellement sur leurs clients, des entreprises la plupart du temps, les taux négatifs de la BCE. Et la fédération allemande des coopératives (BVR) n’exclut pas l’extension de cette pratique, la décision revenant à chacun de ses établissements.
Les banques françaises et allemandes paient le plus lourd tribut, qui se chiffre en milliards d’euros annuels, le système bancaire n’étant pas exposé de manière uniforme aux taux bas. Les banques dont les revenus dépendent essentiellement de l’activité de prêts et dépôts, comme les banques régionales allemandes, souffrent plus de cet environnement que les banques diversifiées dans les services financiers, l’assurance ou la banque d’affaires et d’investissement, comme les établissements français. Ce qui n’a pas empêché le gouverneur de la Banque de France et le ministre des Finances, défenseurs de ces derniers jamais pris en défaut, de rejoindre leurs collègues allemands en dépit des mesures prises par la BCE pour diminuer la portée de la baisse de son taux. On se demande d’ailleurs à quoi celle-ci peut bien servir dans ces conditions.
Les ministres des Finances européens ont donc calé durant la dernière réunion d’Helsinki, Roberto Gualtieri, le nouveau ministre des Finances italien, prenant date avec son confrère espagnol pour que l’investissement public soit dans l’avenir exclu du calcul du déficit. En raison de leurs divisions, le risque est trop grand de s’enliser dans une révision des trop complexes règles d’application du Pacte de croissance et de stabilité – le prétexte donné – pour que l’on s’y engage sans d’avantage s’y préparer.
Le chemin est pourtant tout tracé, le flou entourant la notion clé de « déficit structurel » permettant de desserrer ses contraintes sans porter atteinte aux plafonds politiquement intouchables de 3% de déficit et de 60% d’endettement, mais en modifiant leurs calculs. Les gardiens du temple ne démordent pas de leur rigidité dogmatique.
Valdis Dombrovskis, le vice-président de la Commission européenne, a botté en touche : « il nous faut davantage d’analyses et de discussions… que la Commission doit mener à bien d’ici la fin de l’année ». La belle affaire, il ne sera plus là ! Il a été soutenu par Roberto Gualtieri qui ne se fait pas d’illusions, car il faut s’attendre à « un processus long et complexe » qui ne fait pas son affaire, l’examen du budget italien pour 2020 intervenant cet automne.
À ce rythme-là, la crise sociale et politique ne peut que s’approfondir.