Le moment de la sainte frousse

L’accroissement des inégalités sociales et le « populisme » montant qui l’accompagne font réfléchir dans les hautes sphères de l’économie et des finances. Sous ses différentes formes, la crise politique dérange la bonne marche du business, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe.

L’accueil mitigé réservé aux dernières décisions de la BCE exprime clairement le désarroi régnant. Tandis que les effets positifs de ses mesures accommodantes deviennent de plus en plus discutables, ses effets négatifs sont de plus en plus marquants. La politique monétaire a trouvé ses limites, il ne faut plus en attendre des miracles, sauf à faire tomber des tabous.

Dernier en date à délivrer le fruit de ses cogitations, Alain Minc tente de trouver une issue afin que le capitalisme ne succombe à ses démons, selon ses propres termes. « On n’a pas mesuré l’étendue des changements macroéconomiques qui sont en train de s’opérer » explique-t-il dans une interview aux Échos. L’illustrant par les taux négatifs, en étant persuadé « que nous allons rester dans cette situation pour très longtemps, car l’inflation a tout bonnement disparu », avant de constater que « la vieille règle selon laquelle le plein-emploi entraîne l’inflation qui, elle-même, fait augmenter les taux d’intérêt, n’a plus cours. » Les mystères ne manquent pas, à commencer par ces indicateurs macroéconomiques, telle la mesure de la productivité, qui « ont perdu de leur pertinence ».

Quel est le problème, quelle est la solution ? « La part des revenus du capital par rapport aux revenus du travail s’est accrue dans des proportions telles qu’elle a abouti à la paupérisation relative des basses classes moyennes. » Et comme augmenter les salaires aboutirait à « détériorer de façon considérable la compétitivité des entreprises », Alain Minc propose d’opérer la distribution gratuite d’actions aux salariés dans la proportion de 10% du capital de l’entreprise. C’est ce qu’il appelle mieux répartir les revenus du capital et du travail, et ce n’est pas cher payé. Pas de risque, fait-il par ailleurs remarquer, d’interférer avec le management des entreprises. Partageant la félicité des actionnaires en titre, les salariés n’auraient plus rien à dire.

Mais il ne s’en tient pas là et envisage une seconde distribution gratuite. Faut-il pour que la gratuité soit ainsi mise à contribution que les choses aillent mal ! Alain Minc appelle à la rescousse le désormais célèbre hélicoptère chargé de distribuer des espèces à chaque ménage sous la férule des banques centrales. Faisant remarquer que les sommes en jeu, à raison de 1.000 euros par ménage et par an, seraient bien moindres que celles qui ont été consacrées à l’achat massif d’obligations sans résultats probants.

Après avoir été pestiférée, la création monétaire retrouve droit de cité, l’endettement des gouvernements n’étant plus de saison. La corde a été trop tirée. Voilà en tout cas un premier pas d’accompli en vue de sa réhabilitation. Alain Minc participe de « cette révolution, qui est en train de se produire », vis-à-vis de laquelle il déplore en toute modestie que « nous manquons de penseurs globaux. »

Prétendre s’en tirer à si bon compte est toutefois assez affligeant. Les démons qu’Alain Minc voudrait repousser sont toujours là. C’est le capitalisme financier qui réclame les fameuses « réformes structurelles » dont on nous rabat les oreilles. La suite à lui donner reste à inventer en le touchant au cœur de sa machine spéculative et en le revisitant du sol au plafond. Il ne peut plus y avoir de demi-mesures et c’est tout le problème.

3 réponses sur “Le moment de la sainte frousse”

  1. « L’accroissement des inégalités sociales et le « populisme » montant qui l’accompagne font réfléchir dans les hautes sphères de l’économie et des finances.’

    A priori notre Jupiter national ne réfléchit pas de la même manière au vu de la réforme des retraites en préparation. LREM : Liquidation des Retraites En Marche ?
    L’uniformisation par le bas est en marche c’est certain, les futurs retraités étant appelés à accepter des retraites de misère ou travailler – s’ils le peuvent – jusqu’à 67, 70 ans car ces bornes évolueront dans le temps et la valeur du point pouvant être au besoin réduite afin de respecter les critères de Maastricht et inciter, forcer à rester en activité très au-delà de l’âge d’espérance de vie en bonne santé. Nos enfants seront pressurisé à l’extrême, jusqu’à la dernière goutte.

    Distribuer 1000 euros nets par an comme le propose Alain Minc, ce n’est rien d’autre que 85 euros mensuels soit grosso modo une augmentation nette de 7% du Smic et 4% d’un salaire de 2000 euros. Au vu du pognon de dingue accumulé par les actionnaires des grandes entreprises toutes ces années, de l’augmentation du nombre de milliardaires et millionnaires dans le monde et en France, de la concentration des richesses régulièrement dénoncées, cela ne devrait pas poser de problème de distribuer quelques miettes supplémentaires au bas peuple qui ne peut plus suffisamment consommer pour degripper la machine.
    Au lieu de cela les médias aux ordres du pouvoir politique et financier s’en donnent à coeur joie dans la critique des mouvements sociaux en cours et à venir, montant les catégories sociales les unes contre les autres.
    Diviser pour mieux régner et continuer tranquillement le travail de régression sociale engagé depuis de nombreuses années tout en soutenant un maire « injustement » emprisonné pour fraude fiscale. Voir BFM hier et l’interview dantesque de Madame B qui visiblement vit sur une autre planète.
    LREM, Liquidation des Retraites En Marche, La Régression En Marche,
    La Répression En Marche tel est le véritable visage d’un candidat qui se déclarait ni de gauche ni de droite.

  2. Vous ne faites pas si bien dire. Monsieur Minc a été nommé président du conseil d’administration d’un des trois réseaux autoroutier français privatisé. Ayant connu de l’intérieur celle-là même où il se trouve, cela me rappelle 1 fameux jour de grève où l’exécutif avait du délester… 900 € pour acheter la paix sociale. Cela avait d’ailleurs bien marché. Et largement récupéré par la suite par l’érosion des salaires par rapport aux progression du capital…. Monsieur Minc se trouve donc bien inspirer : faisons ruisseler un peu d’argent, pour le repomper par la suite…. et continuons surtout à privatiser, car tel est un des moteur de la pompe à finance. L’hélicoptère chargé du cash à chaque ménage est une farce, une nouvelle ruse du capitalisme pour se sauver. Plutôt penser à restaurer les systèmes de gratuité comme le suggère Paul Jorion. Tout le contraire des privatisations et de leur artefact, l’hélicoptère machin chouette.

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