Il n’est pas toujours facile d’être à la hauteur de sa réputation, une réflexion que Mario Draghi et la BCE peuvent à juste titre partager. Et Christine Lagarde va bientôt prendre son tour.
Le nouveau train de mesures qui vient d’être annoncé n’était pas seulement très attendu, il était devancé sur les marchés. Autant dire que s’il n’a pas suscité de déception, il n’a pas non plus créé de surprises. Les marchés sont servis et peuvent passer à table.
Mais est-ce bien cela qu’il faut retenir, qui n’est pas non plus une surprise ? Le président sortant de la BCE a tiré ses dernières minutions et les prévisions d’inflation et de croissance dont il a fait part n’ont pas de quoi réjouir. Selon lui, le risque de récession demeure faible, mais il a augmenté. Il ne prend pas un risque exagéré en le prédisant, car selon l’Institut IFO la récession a déjà atteint l’Allemagne. Ce qui explique l’appel inhabituellement fort qu’il a renouvelé afin que les pays qui disposent de marges de manœuvre budgétaires les utilisent « de manière efficace et rapide » pour relancer l’économie.
Il faut croire que les dernières déclarations d’Olaf Scholz, le ministre des Finances allemand, qui évoque l’injection de milliards d’euros dans l’économie, ne l’ont pas convaincu. Afin de s’inscrire dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance et de ne pas s’exposer à l’interdiction de tout déficit budgétaire qu’elles se sont imposées, les autorités allemandes étudient en effet la création d’entités publiques indépendantes susceptibles d’emprunter pour doper les investissements. Voilà qui recadre les espoirs de ceux qui voyaient nettement plus grand, car ces investissements seront dimensionnés en fonction des besoins allemands et non pas européens.
Que retenir des annonces d’aujourd’hui ? D’abord que la BCE va réinjecter dans le système bancaire des liquidités sous forme de prêts porteurs d’intérêts négatifs pouvant aller aussi bas que le taux de dépôt. À défaut de relance du crédit, la spéculation financière a encore de beaux jours devant elle. La banque centrale va aussi continuer par ses achats à peser sur les taux obligataires, en particulier sur le marché de la dette des grandes entreprises qui ont emprunté sans compter, afin de les protéger. Elle va également augmenter à -0,50% son taux de dépôts, ce qui à ce stade ne changera pas la face du monde. Il restera à ce niveau, ou à un niveau inférieur, tant que l’inflation ne se sera pas stabilisée autour de la cible légèrement inférieure à 2 %, ce qui ne sera pas le cas avant longtemps a prévenu Mario Draghi.
Ce taux de dépôt négatif fait partie des nouveautés qui s’installent. Les outils conçus pour répondre à une situation exceptionnelle font désormais partie de la panoplie de base des banques centrales. Avec les achats d’obligations, ils sont devenus des composantes de ce que l’on appelle la « nouvelle normalité ». Mais ils sont loin de donner satisfaction, conduisant les banques à revoir en profondeur leur politique monétaire. Nous n’y sommes pas encore, mais c’est à venir. Hier il fallait oser pénétrer dans des territoires inconnus, demain des tabous devront être brisés.
L’un d’entre eux suscite déjà un grand intérêt, affublé du surnom d’« helicopter money ». La distribution directe aux particuliers de liquidités pourrait éviter de passer par le canal de transmission classique de la politique monétaire, le crédit bancaire, quand cela n’a pas les effets escomptés. Et rien dans le mandat de la BCE ne lui interdit de s’y engager. Cette mesure extrême a été plusieurs fois évoquée lors de la séance de questions/réponses d’aujourd’hui, Mario Draghi ne l’a pas jugée d’actualité mais a reconnu qu’elle était « digne d’intérêt ».
Bien entendu, y succomber serait une échappatoire, mais c’est précisément pour cette raison que cela ne peut être exclu. Car il faudrait sinon agir sur les mécanismes qui sont à l’origine d’une mauvaise allocation des capitaux et ignorent leur vocation de soutien à l’économie.
Allons au bout de la, euh, logique, payons littéralement les emprunteurs en leur donnant de l’argent qu’ils n’auront pas, euh, à rembourser. Je propose, euh, 10 millions directe.
Je voudrais vivre une journée sur un continent entier peuplé rien que de millionnaires. Ca fera de l’inflation ou pas ? Les industriels du luxe et les constructeurs automobiles haut de gamme, les promoteurs de résidence de standing, les vendeurs de bateaux, les agences de voyages, les hôteliers, les industriels d’équipement chinois, les banquiers, les bourses, bref tout le monde seront-ils pas heureux ?
Non ? Ah bon, et pourquoi donc ?
« L’homme est un animal crédule, il a besoin de croire et, à défaut de fondements solides à sa croyance, il se contentera de fondements bancals. »
De la fumisterie intellectuelle de Bertrand Russell
Hum, peut-être aurait-il mieux valu nommer Michael Gorbatchev à la tête de la BCE, homme à l’indéniable expérience dans la réforme des systèmes irréformables ?