Les enquêtes d’IHS Market auprès des directeurs d’achat – les PMI, pour The Purchasing Managers’ Index – font autorité chez les analystes financiers. Elles les autorisent aujourd’hui à prévoir une croissance de 0,2%, voire de 0,1%, au troisième trimestre dans la zone euro. En Allemagne, les résultats de l’enquête de l’Ifo qui vient d’être publiée pointent vers une légère contraction du produit intérieur brut au deuxième et au troisième trimestres, soit la définition d’une récession.
Il faut avoir la foi du charbonnier, comme le FMI quand ses experts s’y mettent, pour dans ces conditions préconiser dans leur rapport annuel sur la France « un effort de consolidation soutenu et favorable à la croissance pour réduire le déficit et placer la dette publique sur une ferme trajectoire de baisse ». Les propos conventionnels n’engagent que leurs auteurs. Justifier les « réformes structurelles » par la croissance qu’elles entraînent relève du vœu pieux, la seule ressource devant son absence étant de prétendre qu’il faut être patient, que cela demande du temps. La croissance n’est pas au rendez-vous et la dépression au contraire menace, ne serait-il pas temps de changer de discours ?
À défaut, les regards se tournent vers la BCE, dont il est attendu un nouveau miracle. Préoccupé par la détérioration de la situation économique, Mario Draghi a préparé en guise de cadeau de bienvenue à Christine Lagarde un train de mesures dont on attend le détail pour septembre. Afin de remplir son mandat – c’est le prétexte officiel qui est avancé – les leviers ne manquent pas, entend-on dire. Ce qui ferait défaut, c’est plutôt la conviction qu’ils vont contribuer à relancer l’économie, la vraie raison de leur activation. Car l’expérience a déjà été faite, la relance de l’économie n’est pas du rayon de la BCE, mais des gouvernements. Mario Draghi n’a d’ailleurs jamais manqué une occasion de rappeler que ceux-ci devaient jouer leur partie, mais en pure perte.
Quelle sera la portée d’une relance des achats obligataires pesant sur les taux, alors que ceux-ci sont très bas voire négatifs ? Faudra-t-il en venir, comme l’a décidé la Banque du Japon, à acheter des actions plus risquées ? En réalité, la BCE n’a pas les moyens de relancer l’économie, sauf à briser des tabous. C’est le sens, par exemple, de la proposition qui lui est faite de financer la transition énergétique. Mais pour commencer, c’est son mandat qui devrait évoluer en partant d’une simple constatation : elle ne parvient pas à l’accomplir en faisant revenir l’inflation dans une cible qui reste hors de portée.
Décidément, les principaux points d’appui de l’orthodoxie économique et monétaire font défaut. Les réformes structurelles n’atteignent pas leur but et la BCE ne remplit pas sa mission. Si l’inflation n’était plus une boussole adéquate afin de guider son action, quel autre indicateur devrait-il la remplacer ? Afin d’alimenter le débat, on se rappellera que la Fed prend officiellement en compte le taux de chômage.
Parmi les choses qui ne collent plus, et elles sont légion, figure la courbe de Phillips, du nom de l’économiste qui l’a empiriquement mis en évidence. Sa physionomie, qui a changé, illustre une étroite relation entre le taux de chômage et l’inflation. Son interprétation donne lieu à de savantes analyses, mais ne doit-on pas en premier lieu retenir cette simple relation ? Considérer que l’inégale répartition de la richesse en défaveur des salariés est à l’origine de la faiblesse d’une inflation qui par contre s’est massivement portée sur les actifs financiers et n’imprime plus sa marque sur les prix utilisés pour la calculer ?
Toute la copie est à revoir, et on ne se bouscule pas au portillon pour s’y engager. La pensée économique conformiste traverse une crise qu’il est préféré d’ignorer en raison de ses implications politiques. Car celle qui est suivie est intouchable, quelle inconscience !