La crise italienne arrive à maturité

Depuis le temps que l’on parle de l’Italie, nous approchons du dénouement. Les éléments du décor du nouvel acte de la tragi-comédie italienne sont progressivement dressés. Et tout indique qu’elle ne se terminera pas avec autant de souplesse que l’année dernière, pour ne pas faire de vague avant les élections. La Commission européenne, les marchés et le gouvernement italien s’y préparent chacun de son côté.

La Commission a engagé une procédure pour déficit excessif qui doit être validée par le Conseil d’État, premier pas d’un parcours qui laisse quelques mois pour négocier avant d’arriver à son terme ultime faute d’y parvenir : se voir infliger une amende, qui dans le cas de l’Italie avoisinerait les 3,5 milliards d’euros. Ce serait une grande première, car la Commission ne l’a jamais infligée. Et cela n’allégerait pas le déficit et la dette, le cœur du problème, tout au contraire. Matteo Salvini pourra-t-il longtemps continuer de traiter avec désinvolture ces « papiers » qu’il déclare haut et fort ignorer dans ses propos de tribune ?

Plus discrètement, les marchés se sont aussi manifestés. L’Italie emprunte à cinq ans à un coût supérieur à celui de la Grèce, le malade le plus atteint de l’Europe, et ils sont très proches à dix ans. Fâcheuse comparaison ! Exprimant par sa mesure l’espoir d’une relance des achats d’actifs par la BCE, l’avertissement est néanmoins notable et ne restera pas sans suites si cette relance n’intervient pas.

Comment les investisseurs vont-ils réagir lorsque le projet de budget italien 2020 sera présenté à la Commission et rejeté, si Matteo Salvini maintient la mise en œuvre de son projet de « flat tax » modulé à 15 et 20% selon les revenus ? Giovanni Tria, le ministre de l’Économie, affirme que sa mise en œuvre, ainsi que celle du Revenu de citoyenneté, sont compatibles avec un budget restant dans les clous, tout en cherchant à freiner ces deux projets phare. Étonnantes mathématiques !

Le gouvernement italien n’est pas en reste de signal. Le Parlement a demandé au gouvernement d’étudier l’émission de « mini-BOTS » (bons du Trésor). Il ouvre la voie à la création d’une monnaie parallèle alternative à l’euro et pouvant si besoin s’y substituer. Une stratégie proposée en Grèce par Yannis Varoufakis et rejetée par Alexis Tsipras et qui flirte avec les principes de la Théorie monétaire moderne (MMT).  

L’utilisation de ces reconnaissances de dette – en l’occurrence émises en contrepartie de payements en retard de l’État – est seulement prévue pour principalement régler les impôts. Plusieurs milliards d’euros de ces titres négociables pourraient être émis. Mais, même si l’émission et l’utilisation des mini-BOTS est encadrée, la décision de passer à exécution n’en représenterait pas moins une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de Bruxelles en raison de ses prolongements possibles. Une arme de négociation pour le moins, un moyen de déclencher la panique sur les marchés également.

L’Italie est sortie de deux trimestres de récession l’année dernière avec un PIB à -0,1%, et le gouvernement italien annonce 0,1% pour ce premier trimestre, une quasi-stagnation. N’ayant déjà pas tenu sa promesse de réduction de sa dette l’an dernier – elle a au contraire encore crû – comment pourra-t-il y parvenir cette année ? Mais l’admettre serait reconnaître que la dette italienne est insoutenable et réclame pour le moins une sérieuse restructuration afin de repousser le problème, telle que la Grèce en a déjà profité. Un pis-aller évitant de tailler dans le vif en procédant à une réduction de sa dette, l’horreur même ! Force reste au Traité, certes, mais que valent ses dispositions si elles sont inapplicables ?

Au lendemain des élections européennes et de la débâcle du Mouvement des 5 étoiles, Matteo Salvini est devenu le véritable et unique patron de l’Italie, le président du Conseil Giuseppe Conte, qui menace de démissionner, étant de plus réduit au statut de simple figurant. Ce qui explique que sa tentation de susciter des élections anticipées ne s’est pas concrétisée, d’autant que le score de la Ligue aux élections européennes a été inférieur aux prévisions. On ne peut exclure qu’elles soient finalement suscitées, dans  la perspective de constituer une coalition Ligue/Fratelli d’Italia (un parti nazi).

Les déclarations en faveur de l’application de la « flat tax » et la décision de mettre en œuvre la distribution de mini-BOTS s’inscriraient dans cette perspective comme autant de provocations bien dans le style de l’extrême droite, avec pour objectif de se rallier le maximum d’électeurs et de remporter les deux tiers des sièges au Parlement avant de modifier la constitution.

Entre un président de la Commission en fin de mandat, et jouant si nécessaire les prolongations comme il l’a annoncé, et un ministre de l’Intérieur auto-promu au rang de Premier ministre, les épisodes de la tragi-comédie italienne qui vont suivre promettent d’être tendus.

5 réponses sur “La crise italienne arrive à maturité”

  1. « L’Italie est sortie de deux trimestres de récession l’année dernière avec un PIB à -0,1%, et le gouvernement italien annonce 0,1% pour ce premier trimestre, une quasi-stagnation. » (François Leclerc)

    Même si l’utilisation de fractions de pourcent dépourvues de signification est une chose habituelle et si les annonces d’une « variation » de 0,1% dans les sondages dans la presse italienne n’y ont pas l’air de faire sourire grand monde vous n’êtes pas obligé d’avoir l’air de prendre l’estimation du PIB au 1/1000 près au sérieux…

    Il est certain cependant que ma remarque est à prendre avec des pincettes: je me souviens d’avoir mis des mois à prendre au sérieux un prof de math parce qu’il avait un accent niçois prononcé…

  2. PIB en variation de +- 0,1%.
    Excusez ma volontaire vulgarité mais est-ce que le calcul du PIB italien tient compte de l’augmentation des tarifs de la … turlutte.
    https://www.capital.fr/economie-politique/trafic-de-drogue-integre-au-pib-ce-que-ca-va-changer-pour-la-france-1269283

    Nos dirigeants européens ne savent plus quoi inventer et intègrent dans le calcul du PIB le traffic de drogue, et les revenus de la prostitution.
    Quel serait le PIB réel de nos pays sans ces données « exotiques » ?

    1. Si vous êtes propriétaire de la maison que vous habitez, le loyer que vous ne payez pas est cependant ajouté au PIB: « La production de services de logement par les propriétaires-occupants est évaluée sur la base du loyer estimé qu’un locataire devrait payer pour un logement similaire, compte tenu de facteurs tels que la localisation, la proximité d’équipements collectifs, etc., ainsi que de la taille et de la qualité du logement lui-même. » (Eurostat, 2010, p 72).

      Dans les pays où il n’y a pas de cadastre c’est probablement une manière efficace d’assurer la croissance du PIB.

      Parailleurs, comme le prix du logement dépend pour une part de plus en plus grande du prix des terrains, plus un pays est surpeuplé et plus les loyers sont élevés plus son PIB s’accroît.

      « Since 1995, land values in this country have risen by 412%. Land now accounts for an astonishing 51% of the UK’s net worth. » :
      https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/jun/04/tackle-inequality-land-ownership-laws

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