S’ingénier depuis des mois à faire disparaitre des bilans bancaires les pertes de centaines de milliards d’euros de prêts non performants – prioritairement en Italie, en Grèce et au Portugal – pour se retrouver brutalement nez à nez avec un mastodonte allemand consacré première banque systémique mondiale en péril ! Voilà le tableau offert par la Deutsche Bank.
Décidément, le système bancaire européen dans son ensemble est un grand malade. Et sa guérison n’avance pas. Ses fleurons d’hier sont aujourd’hui au bord du précipice, l’exemple même de ces banques dénoncées pour être « too big to fail » dont on ne sait pas quoi faire. C’est l’héritage, onze ans après, de la course effrénée à la taille du bilan engagée par les géants européens pour se hisser au niveau de leurs concurrentes américaines. Il fallait à tout prix les rattraper pour jouer sur les marchés mondiaux et, pour y parvenir, les Européens ont cru astucieux de se porter acquéreur des produits dérivés qu’elles produisirent massivement alors, évacuant par la même occasion leurs pertes potentielles. On se souvient que la Fed se porta au secours de la Société Générale.
Par parenthèse, on en vient à se demander ce qu’il en est vraiment des autres grandes banques européennes, qui peuvent uniquement se prévaloir de ne pas avoir mis la main dans tous les pots de confiture qui se présentaient, comme la Deutsche qui mettant les bouchées doubles n’avait pas hésité à le faire.
Les pertes étant comme chacun sait le sparadrap du capitaine Haddock, on ne s’en débarrasse pas si facilement, et il a fallu vivre avec depuis qu’elles ont été contractées. Dix milliards d’euros seraient nécessaires pour stabiliser la Deutsche Bank, mais cette estimation n’est-elle pas complaisante ?
Après avoir tout essayé durant les trois dernières années, rien n’a fonctionné pour tenter de stopper l’irrésistible chute de la banque. Effrayé par l’ampleur de la contribution financière que son intervention impliquerait, le gouvernement allemand a favorisé la fusion de la Deutsche Bank avec la Commerzbank, l’autre deuxième grande banque privée allemande au sein de laquelle elle dispose déjà d’une participation minoritaire. Après huit semaines d’études, les négociations entre les deux grandes banques allemandes se sont terminées en eau de boudin.
Le ministre des finances du SPD Olaf Scholz avait appuyé le projet, mais les milieux d’affaires ainsi que les actionnaires qataris de la banque y étaient défavorables, sur le thème qu’associer deux malades ne produirait jamais un être bien portant. Les syndicats s’opposaient pour leur part à la perte de 30.000 emplois. Les régulateurs américains et européens firent la décision, la naissance d’un géant ayant plus de 1.500 milliards de dollars à l’actif et ayant un rôle majeur de contrepartie dans le système financier international n’était pour eux tout simplement pas envisageable.
Fusion, scission préalable des activités américaines, création d’une bad bank, toute la panoplie du possible avait été entretemps étudiée mais aucune ne s’est révélée jouable. Et le gouvernement se retrouve avec la Deutsche Bank sur les bras, n’ayant pas d’autre solution que de gagner du temps. Quant à Commerzbank, sur laquelle l’italienne Unicredit et l’hollandaise ING avaient chacune des visées, elles sont priées d’attendre un peu. Une opération impliquant des partenaires étrangers n’étant pas le premier choix gouvernemental.
Les temps sont durs en Allemagne, et cela ne se limite pas au cas de la Deutsche Bank. L’industrie automobile subit la crise du diesel et se trouve toujours sous la menace – qui se confirme – de sa taxation américaine, après le refus de la fusion d’Alstom et de Siemens par les autorités européennes de la concurrence. Si l’on y ajoute la diminution de la croissance sur ses marchés à l’export, le paysage global n’est pas avenant. Le modèle allemand se défait de toutes parts.