Pourquoi donc accorder tant de place aux évènements d’Algérie, délaissant les sujets d’intérêt qui ne manquent pourtant pas dans l’actualité ?
Je pourrais rendre compte de la poursuite du démantèlement de l’Union européenne et des dissensions grandissantes, désormais sur la place publique, entre les gouvernements allemand et français. Ou évoquer le sort des 64 réfugiés sauvés en mer par le Aylan Kurdi, ce bateau battant pavillon allemand une fois de plus bloqué avec eux à bord au large de Lampedusa dans la tempête (un accord de répartition des réfugiés a été trouvé ce matin). Ou bien du nouveau modèle prévisionnel de la BCE, aux résultats opportunément divulgués, selon lequel la croissance pourrait encore ralentir en zone euro. Ou bien encore des préparatifs européens contre la nouvelle offensive de la guerre commerciale de Donald Trump, car il doit mettre la pédale douce avec la Chine tout en alimentant sa campagne électorale permanente. J’en ai certainement oublié, dont le énième avatar de la saga du Brexit et bien entendu les évènements du Soudan qui résonnent en phase avec ceux d’Algérie.
On a coutume de parler de tourbillon de l’information. Au point que la « durée de vie » d’une information dans les médias est de plus en plus limitée, car il faut faire de la place pour les nouvelles. La compréhension de chacune d’entre elles, pour ne pas parler de celle de l’ensemble, n’en sort pas grandie.
Dans ce tourbillon très sombre, les évènements d’Algérie tranchent. Y a-t-il une meilleure raison pour essayer d’en rendre compte ? Certes, il est conseillé de ne pas sous-estimer le poids de l’armée dans le pays, mais la période suscite ici et là des explosions quand le besoin du changement a trop longtemps été contenu et qu’il ne trouve pas de canal pour s’exprimer. À cet égard, des mots très forts ont été prononcés par les manifestants quand ils ont parlé de deuxième Indépendance, comme si le pouvoir avait été confisqué lors de la première.
Notre vision de l’Algérie est brouillée en raison de l’assimilation des évènements à une nébuleuse appelée « printemps arabe » dont elle serait la tardive continuation, et qui a mal tourné comme en Égypte. En Algérie, les autorités font monter la tension, mais les manifestants continuent de nettoyer les rues après leur passage, ils s’interposent entre les policiers et les jeteurs de pierre quand cela chauffe, leur grand mot d’ordre est « pacifique ! pacifique ! », proclamation sans équivoque de leurs intentions. L’immensité de leurs rassemblements dans toutes les villes du pays et l’humour de leurs banderoles sont leurs meilleures armes.
Les jeunes algériens rêvaient de visas pour quitter leur pays, ils voudraient désormais y rester pour le construire. Cela fait d’autant plus de sens qu’il ne peut plus être attendu autant du miracle de la rente pétrolière et gazière, ce cadeau empoisonné comme l’on sait.
Dans l’immédiat, le système va se cramponner à la tenue des élections présidentielles pour le moment fixées au 4 juillet prochain. Il reste 11 vendredi d’ici là, c’est long, avec le risque d’émergence d’un mot d’ordre de boycott générant une abstention massive.
On ne se refait pas. Après avoir partagé de plus ou moins près tant d’aventures et d’espérances au siècle dernier, l’Algérie qui en a fait partie est une sorte de piqure de rappel… à moins que ce ne soit un chant du cygne.
Cher François,
L’occasion m’est donné de te remercier pour ce suivi sur l’Algérie et sans doute ne suis-je pas le seul.
Je crois en effet qu’il se joue en Algérie quelque chose de très important sur tous les plans, géopolitique (est-il besoin de rappeler le rôle de ce pays en Afrique et en Méditerranée, donc en Europe méridionale ?) et politique. Une démonstration nous est faite (comme une piqûre de rappel) de la puissance de la multitude animée par un affect fédérateur (Les analyses de F. Lordon sont a l’œuvre !).
Rien n’est encore joué malgré des avancées et ce sentiment d’une liberté à reconquérir (y compris pour les femmes) et mon admiration envers le peuple algérien et sa jeunesse est immense. Parfois je me demande justement si un certain silence médiatique en France ne pourrait s’expliquer par une certaine crainte…de contagion.
Ton grand talent est justement de faire des suivis approfondis, étayés et réactifs comme par ex. pour Fukushima.
Bravo et continue !
Jacques