La théorie monétaire moderne (TMM) est en vogue au sein de la gauche des démocrates américains, et l’intérêt qu’elle suscite a traversé l’Atlantique, conduisant deux pontes de la BCE, Peter Praet et Benoît Cœuré, à la rejeter afin de prévenir toute contagion car son adoption ouvrirait la porte à l’horreur de la monétisation de la dette…
Se réfugiant derrière l’impensable, Benoît Cœuré a remarqué que l’adoption de la TMM impliquerait un changement des traités. Ce n’est pas dans l’air du temps ! Pourtant, le système ne fonctionne plus comme attendu, ainsi qu’en font foi les grands indicateurs que sont la croissance, l’inflation et ceux de l’emploi quand sa qualité est prise en compte. Et les faits sont têtus, ils imposent pour le moins une réflexion théorique à laquelle l’école monétariste qui tient le haut du pavé refuse de se prêter. Car une fois le petit doigt engagé dans les reconsidérations, c’est tout le bras qui passerait…
Par nature pragmatiques, les banques centrales doivent faire avec ces nouveautés, et elles continuent d’avancer dans des territoires inconnus. La dernière réflexion de la BCE porte sur les taux négatifs auxquels les dépôts des banques à ses guichets sont assujettis. Une de ses études montre que la profitabilité des banques est doublement affectée par ce taux, ainsi que par les effets involontaires des achats d’actifs de la BCE qui accroissent le volume des réserves des banques placées en dépôt.
Pour minorer la peine des banques, le taux des réserves pourrait être modulé, un taux intermédiaire entre le taux de 0% appliqué aux réserves obligatoires (1% des dépôts), et le taux de -0,4% au-delà serait créé et activé à un certain seuil. Pour les analystes financiers, une telle disposition signalera, si elle est adoptée, la volonté de maintenir le taux négatif pendant une longue période.
On avait déjà enregistré qu’il n’était plus question d’augmenter le taux directeur principal de la BCE et de commencer à réduire la taille de son bilan en se dessaisissant des titres souverains qu’elle a acheté. Cette nouvelle disposition devrait conforter l’idée qu’il n’est décidément pas question de redevenir comme avant.
De changement en reconsidération, où va la BCE ? Il se confirme que sa mission est déjà élargie de facto et ne s’en tient plus à une lutte contre l’inflation qui n’est plus de saison. Mais va-t-elle pouvoir l’exercer si elle n’a à sa disposition que ses outils monétaires actuels, qu’elle a déjà largement utilisé ?
Le socle sur lequel repose la BCE est fragilisé, mais qui osera engager le débat à ce propos ? Il est loin le temps où Ben Bernanke, encore président de la Fed, affichait une belle assurance à propos des capacités d’assèchement des liquidités déversées à profusion dans le système. Les banquiers centraux vont-ils en venir à considérer les bienfaits de la monétisation et non plus ses seuls méfaits ?