Les raz-de-marée populaires se poursuivent de vendredi en vendredi dans toutes les grandes villes algériennes. Toujours aussi joyeux, décontractés et pacifiques, les manifestants font preuve d’une ironie mordante à l’égard du « système » dont ils exigent sans se lasser la fin. Tout comme si le peuple algérien avait retrouvé son identité dans la rue et la contestation. Signe des temps qui ont changé, il n’est plus question pour les jeunes algériens d’aller construire leur vie ailleurs, mais de construire leur pays. L’idée de la libération de l’Algérie une deuxième fois est dans l’air !
Incapable de reprendre la main, le système lâche du lest. Il a aujourd’hui limogé le directeur de la télévision nationale, dont les salariés manifestaient pour la troisième fois devant le siège en s’opposant à la censure et en réclamant une télévision « libre et démocratique ».
Les journalistes ne sont pas seuls à manifester sans attendre les grands rendez-vous hebdomadaires. Les avocats, les architectes, les employés communaux, les vétérinaires et les magistrats de la Cour des comptes sont eux aussi descendus dans la rue la semaine passée.
On s’agite beaucoup dans les rangs d’une opposition très divisée et totalement marginalisée au sein d’un mouvement où elle ne joue aucun rôle. Des plans sont proposés, mais ils n’ont aucun point d’appui. C’est du côté de l’armée, la colonne vertébrale du pays, qu’il faut attendre du nouveau.
Le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée algérienne, vice-ministre de la Défense et jusqu’alors fervent partisan de Bouteflika, a prononcé le 10 mars dernier un discours dont les mots étaient pesés. Il n’était plus question comme précédemment « des appels anonymes douteux, prétendument en faveur de la démocratie visant à pousser les Algériens vers l’inconnu », ni du repoussoir du retour aux années de la guerre civile de 1992 à 2002.
Dorénavant, le général « partage avec le peuple algérien les mêmes valeurs et principes ». Entre le peuple et son armée (…) tous les fondements d’une vision unique du futur de l’Algérie se rejoignent » a-t-il ajouté, en se gardant bien de donner la sienne. Dans son discours, il a omis toute référence à son mentor Bouteflika et au rôle que celui-ci se propose de jouer s’il est bien l’auteur de la lettre qui lui est attribuée.
Certes, l’armée algérienne n’est pas la Gendarmerie nationale par laquelle le système « tenait » le pays, qui est susceptible de mener toutes les répressions. Placée au centre du jeu, elle représente une grande inconnue. Mais est-elle prête à assumer le pouvoir, quel habillage peut-elle sinon trouver, et pour mener quelle politique ? Les beaux jours de la rente pétrolière sans partage sont finis.