Qui parle de crise en Europe ? Érigé en juge de paix, le marché obligataire ne la voit pas et dément les esprits chagrins. Les indicateurs économiques sont peu encourageants, les chiffres du chômage des jeunes dans le sud de l’Europe sont catastrophiques, mais les investisseurs ne s’en émeuvent pas.
C’est même le monde l’envers. Les taux allemands et français se sont légèrement tendus tandis que ceux de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal se sont détendus. L’Italie emprunte à dix ans à 2,704%, le Portugal à 1,432% et l’Espagne à 1,138%. L’Europe du sud, qui a si mauvaise presse, emprunte à un taux inférieur à celui des États-Unis. Le moins que l’on puisse dire est que les marchés ne jouent pas la crise. Au contraire, leur attitude incite les gouvernements à emprunter à plus long terme, allongeant la maturité de leurs émissions de dix à trente ans pour se prémunir des jours moins cléments lorsqu’ils viendront.
Dans ce monde très perturbé et marqué d’incertitude, les investisseurs privilégieraient-ils la stabilité, refusant de se laisser entrainer à jouer le rôle de croquemitaine et à relancer la crise européenne ? Nul n’ignore l’échéance italienne, qui n’a été que repoussée, et les fortes conséquences politiques de la disette budgétaire imposée qui parcourent l’Europe. Le gouvernement socialiste portugais d’António Costa craint désormais ne pas conquérir la majorité aux prochaines élections, comme espéré, et Pedro Sánchez n’a pu faire voter son budget et engager les mesures sociales qui y étaient inscrites.
La crise politique est devenue le meilleur baromètre de la crise et les élections européennes ne vont pas jouer le rôle d’exutoire. La recomposition qui s’est engagée reprendra une fois celles-ci passées. Et les intentions de Donald Trump ne font pas de doute, il relance sans attendre sa guerre commerciale avec l’Europe, suscitant des divergences entre les gouvernements allemand et français sur le calendrier et le champ des négociations. Les autorités allemandes ont dans cette affaire le plus à perdre et les françaises marquent plus de fermeté, craignant qu’un accord commercial global inclut l’agriculture. Celle-ci est déjà menacée par les négociations à venir sur le budget communautaire et sur l’enveloppe de la politique agricole commune (la PAC).
Les dirigeants allemands campent sur leur stratégie budgétaire et placent leurs pions. Les pressions en faveur de son assouplissement vont s’accroître mais comment pourraient-elles déboucher ? En attendant, le niveau de l’endettement reste globalement très élevé, Le ratio moyen de la dette sur PIB, à 86,7 %, est encore très loin des 60 % requis par les traités européens. Au total, 15 États membres avaient encore une dette supérieure à 60 % fin 2017. L’endettement public reflue lentement, sauf en France où il est monté à 97 % du PIB en 2017, très proche de la barre des 100%. La France garde un déficit largement supérieur à la moyenne des 19 pays de la zone euro. Avec l’Espagne et l’Italie, elle constitue le clan des mauvais élèves.
La croissance a favorisé la baisse des déficits et de la dette, ce qui ne va plus être le cas vu son affaiblissement. Et il faut s’appeler François Villeroy de Galhau, lire dans le marc de café et présider la Banque de France, pour prétendre que « les freins sur la croissance pourraient se desserrer au printemps ou à l’été prochain », qui ne seraient donc que conjoncturels. C’est un autre scénario auquel se prépare la BCE qui étudie le lancement d’une nouvelle vague de prêts à long terme à conditions avantageuses aux entreprises, les TLTRO. L’alarme a été sonnée à propos de leur fort endettement mais il n’est concevable de relance qu’à crédit, une fois la priorité donnée au désendettement budgétaire… On n’est pas à une contradiction près.
Après l’Italie, c’est l’Allemagne qui fait désormais soucis. L’accès de faiblesse enregistrée résulte du ralentissement de l’économie chinoise et des soubresauts de l’industrie automobile, mais ce n’est pas fini. Sa croissance économique est très sensible aux fluctuations de ses exportations, et le contexte n’y est pas favorable avec la reprise de l’offensive du président américain.
Les autorités allemandes étaient assises sur des excédents budgétaires de 59,2 milliards d’euros en 2018 et ne donnent aucun signe de puiser dans leurs réserves pour relancer la consommation intérieure. Elles sont prêtes à multiplier les concessions pour éviter une taxation américaine punitive des véhicules européens affectant en premier lieu leur industrie automobile.
La « capacité budgétaire » propre à la zone euro, nom donné au budget de l’Union européenne réclamé par Emmanuel Macron, s’est rétrécit comme peau de chagrin, tant pour son enveloppe, déjà qualifiée de modeste, que par son objet: être l’embryon d’un gouvernement économique. Le compromis trouvé entre les négociateurs allemands et français laisse peu de place à de grandes ambitions et permettra tout au plus au président français de sauver la face. Donc, rien de nouveau.
L’Europe n’a pas les moyens d’une nouvelle crise sur le modèle de la précédente, et de ce point de vue les investisseurs n’ont pas tort en évitant de la précipiter. Mais cela ne donne pas de solution pour autant.