Après avoir longtemps occupé le devant de la scène, la crise financière a fini par céder la place. Seuls les financiers et les sommités académiques spécialisés s’en préoccupent encore. L’une d’entre elles, Kenneth Rogoff, s’inquiète ainsi du déplacement du risque vers le système financier de l’ombre et le place dans le contexte d’un endettement mondial approchant les deux cent mille milliards de dollars.
Une autre crise a pris le devant dans l’opinion, frappant les imaginations en raison de son calendrier et de ses conséquences. L’élévation générale de la température va bouleverser une grande part de l’activité humaine, avec à la clé famines, déplacements massifs de population et création de nouvelles mégapoles. Et l’on pressent qu’un coup d’accélérateur sera donné au développement des inégalités, ce processus que rien ne semble non plus pouvoir arrêter. Avec dans les deux cas un même constat : les mesures qui seraient nécessaires ne sont pas prises, car trop radicales, et brillent par leur absence, rééditant ce que l’on a déjà observé pour la finance.
À l’image d’un monde globalisé, la crise est devenue globale sous sa forme chronique, tout à la fois financière, sociale, politique et environnementale. Et les contagions sont multiples. Les trois grands pôles que sont la Chine, l’Europe et les États-Unis sont chacun à leur manière atteints par elle.
La compétition pour le leadership économique mondial qui oppose la Chine aux États-Unis a des effets dévastateurs. Par ses effets, elle conjugue un accroissement de l’endettement avec un ralentissement de la croissance et un approfondissement des inégalités, toutes choses qui ne s’accordent pas ensemble. Or la guerre commerciale engagée par Donald Trump est durable et ses répercussions sur la diminution des flux commerciaux résultant de la hausse des tarifs douaniers prend à contre-pied les filières de production éclatées de la mondialisation.
La personnalité du président américain a dans un premier temps fait croire que son règne ne pouvait pas durer, mais l’hypothèse d’un second mandat est désormais soulevée. Comme si les révélations attendues sur ses rapports avec la Russie, qui se font attendre, sont impensables en raison de leur nature, et qu’elles imposent d’obtenir une démission évitant de tout révéler.
Un autre facteur vient contrarier un aggiornamento de peu d’espoir. Le démantèlement progressif de l’Union européenne a un puissant moteur qui ne va pas caler ; les autorités allemandes restent rivées à leur doctrine ordo-libérale et à un modèle économique reposant sur les exportations qui a fait son temps. Devenant crispation, la fermeté allemande va en sortir renforcée, levier d’une lente mais irrésistible décrue européenne.
En Chine, les deux grands chantiers du Président Xi Jinping connaissent des fortunes diverses. Le plan stratégique « Made in China 2025 », le vecteur de développement du pays destiné à le conduire au leadership mondial, et le système de crédit social ayant pour but d’instaurer un système de surveillance de la population en utilisant les technologies avancées. La réalisation du premier est soumise aux aléas des négociations commerciales en cours avec les États-Unis, tandis qu’il apparait déjà que la transition entre les deux modèles de développement économique reposant sur les exportations et le marché intérieur n’est pas une promenade d’agrément.
Quant au second, sa mise en place a également débuté, avec d’énormes ambitions à l’échelle de ce qu’il doit surveiller. Ici, la reconnaissance faciale est implantée dans une ville test, là un système d’endoctrinement disponible sur l’immense parc des smartphones et distribuant récompenses contre assiduité est déployé. La pensée du président Xi Jinping désormais inscrite dans la constitution, son étude devient obligatoire et procure des points transférables en biens de consommation, la dédaigner sera enregistré dans les dossiers individuels décrivant le comportement social des Chinois. Et ce n’est que le début de ce qui se prépare. Orfèvre en matière de contrôle social, le régime chinois entend mieux faire que les occidentaux et le capitalisme de surveillance qui prend tournure.
Enfin, il est tenté de cataloguer sous le danger du « populisme » l’extrême-droite et l’extrême-gauche, les fameux extrêmes, dans l’intention de valoriser ce qui se situe entre les deux. Mais qui y trouve-t-on si ce n’est les défenseurs de l’ordre établi et des privilèges acquis, qui se voient rejetés et sont en mal de promesses ? C’est l’extrême-droite qui manipule l’opinion, toujours à son avantage sur ce terrain, et qui gagne du terrain aux élections. Et la droite perd son âme lorsqu’elle cède à la tentation et s’y rallie.
Sacrifiant à la démagogie du moins d’impôt pour ne pas réformer la fiscalité afin qu’elle joue son rôle de redistributeur de la richesse, les autorités tentent de réduire l’optimisation fiscale à grande échelle des grandes compagnies mondiales afin de se procurer des ressources en complément. C’est dérisoire ! L’Europe était la championne de la protection sociale – tout est relatif – mais celle-ci est désormais menacée. Raison pour laquelle le contrôle social a de beaux jours devant lui. D’où l’importance du contrôle de l’utilisation des données et de la validation des algorithmes.
Ces histoires n’en sont qu’à leurs débuts.