Les bonnes idées ne meurent pas, elles sommeillent quelquefois

Tout a commencé lorsque, en guise de régulation sur le thème « plus jamais ça », les régulateurs des deux côtés de l’Atlantique ont esquivé l’essentiel, c’est à dire la spéculation financière. Logiquement, la certitude s’en est suivie qu’une nouvelle crise allait immanquablement survenir, argument martelé afin que les banques centrales s’y préparent en se redonnant des marges de manœuvre. Nous en sommes là.

Après avoir longuement disserté afin de savoir si la crise était de liquidité ou de solvabilité – certes, ce n’est pas sans importance – deux grandes préoccupations ont finalement émergé. Dans la partie « développée » du monde, l’endettement public et privé et les inégalités n’ont cessé d’augmenter, ayant en commun d’être  à terme insoutenables et pour la seconde de générer une crise politique généralisée. Mais cette tardive prise de conscience n’a pas débouché sur les mesures qui s’imposaient pour les enrayer, encore moins les résorber.

La question est d’autant plus décisive que, devenue globale et atteignant une dimension politique, la crise a suscité l’émergence de mouvements incontrôlés catalogués en se pinçant le nez dans une rubrique « populiste » fourre-tout., mettant dans le même sac Donald Trump, le Brexit, l’élection du nouveau gouvernement italien, Occupy, Podemos et les Gilets jaunes (on en passe)…

Pour qualifier cette période, Paul Jorion parle à juste titre d’embourbement. De fait, cela n’avance pas. Mais combien de temps cela va-t-il tenir ainsi ? Tout se passe comme si le capitalisme ne parvenait pas à se donner un nouvel élan en se réformant, et que ceux qui en rejettent les effets ne sont pas en mesure de formuler une alternative sur les cadavres du « socialisme ». D’où cette situation d’entre-deux qui semble destinée à durer, où le renouveau reste dans les limbes et l’ancien arc bouté sur les privilèges acquis. L’instabilité du système financier a désormais déteint sur un système politique dont les occupants sont dépassés par les évènements, prisonniers de leurs dogmes.

Entre une société dont nous vivons la longue agonie, et sa suivante, la marche à franchir est bien haute car les remises en causes sont radicales, prenant les problèmes à la racine. Il serait temps, car celui-ci est compté : l’Humanité a évité le cataclysme de la guerre nucléaire mais elle se dirige tout droit, de son propre fait, vers de grands bouleversements climatiques et la disparition accélérée des espèces.

Beaucoup a été écrit sur les Gilets jaunes, un mouvement au sein duquel les manipulations accessoires sont inévitables, mais qui fait preuve d’un grand mordant. Son terrain n’est pas celui des prochaines élections européennes, où il ne peut espérer peser. Afin d’approfondir ses revendications tout en restant local, sa plus grande force, il peut lui être suggéré de s’impliquer sur les lieux de travail, où en matière de droit à la parole et de démocratie il y a fort à faire. Résumant cette aspiration, un terme oublié a eu son heure de gloire, celui d’autogestion. Qu’importe celui qui lui sera donné, mais s’il est un pas à accomplir pour continuer de remplir le cahier de revendications, c’est bien celui-là ! La démocratie n’a aucune raison de s’arrêter là où commence le monde du travail.

Certaines réactions pourraient inciter à l’optimisme. Notamment à propos des données personnelles récupérées en ligne et revendues, et en plus marginal de l’avènement de la société de surveillance qui se dessine. Mais le précédent de la NSA et de ses consœurs, dont les activités inquisitrices se poursuivent imperturbablement malgré l’immense scandale, doit le relativiser. Car que pèsent les rêveries pour un monde meilleur de la Silicon Valley, qui s’estompent, face au froid pragmatisme du monde des affaires pour qui seuls comptent les chiffres ?

10 réponses sur “Les bonnes idées ne meurent pas, elles sommeillent quelquefois”

  1. Un magnifique décodage, François !
    Tout est photographié à l’instant t et tes réflexions sur les Gilets jaunes sont parfaites ; le débouché proposé (l’autogestion) très intéressant.
    J’espère que ce billet percolera 🙂

  2. « La démocratie n’a aucune raison de s’arrêter là où commence le monde du travail. », nous dit monsieur Leclerc.

    Effectivement, si on redéfinit ce qu’est le monde du travail et ce qu’est une entreprise et dans quel système on se situe et ce qu’on entend par démocratie dans le monde du travail. Aucune chance que cela soit réalisé en l’état actuel d’entreprises privés capitalistes avec actionnariat ou d’indépendants, car dans ce cas la décision restera toujours du côté du possédant et la responsabilité du côté du dirigeant aussi. Le code du travail, le code du commerce ont d’ailleurs bien malgré eux pérennisé cet état de fait, en attribuant de manière très détaillé les responsabilités et leurs articulations au seing des entreprises car il est bâtit sur la dualité employeurs/employés. Bref, pas gagné votre idée vu les règles légales appliquées dans les entreprises.

  3. « l’Humanité a évité le cataclysme de la guerre nucléaire »

    Il serait plus juste de dire que l’Humanité a évité jusqu’à présent le cataclysme de la guerre nucléaire.

    À l’heure où les US dénoncent un traité sur les missiles de portée intermédiaire (que les Russes ne respectaient d’ailleurs pas) afin de faire pièce aux Chinois, leurs véritables compétiteurs, qui eux n’avaient pas signé ledit traité, il convient d’être prudent. Non seulement les points chauds aux marches des puissances nucléaires se multiplient, mais en augmentant le nombre de vecteurs et de têtes nucléaires, on augmente d’autant le risque d’accident.

    1. Roberto,
      Sérieusement, dans les années 80 je faisais des cauchemars à cause de la guerre froide qui battait son plein avec l’affaire des pershings (crise des euromissiles) déployés en Allemagne fédérale, je n’ai pas envie de revivre ça.
      Tiens, c’est curieux que les gens ne fassent pas plus de cauchemars que ça avec les périls qui s’ajoutent aux périls. Gageons que si le péril climatique est maîtrisé d’autres périls seront pris en considération dans la foulée, car la résolution du péril climatique suppose une prise de conscience mondiale et surtout une coopération internationale qui justement fait aujourd’hui cruellement défaut.

  4. Je réagis ici mais aussi en réponse à l’article de Timitoa sur le blog de Jorion. Je crois percevoir des éléments d’un débat au sein des « Amis » (tiens, un cercle non transparent), qui s’alimente de l’idée de « pourrissement » et de celle de « percolation » qui viendraient de PJ (je lis entre les lignes). En bref, rien n’émane du vieux monde et les idées simplistes et délétères percolent dans ce marécage (ou non, le débat a fait rage, nous dit-on). Par opposition, on peut imaginer des morceaux de puzzle qui ne trouvent pour se mettre en ordre qu’une table « brune », nous dit Timitoa, et on doit se demander pourquoi.
    Mais j’ai essayé de souligner que quelque chose d’autre se joue dans le mouvement des GJ, et c’est justement une question de procédure démocratique.
    D’un article de Mediapart, il est apparu clairement que le gouvernement français a prévu un Grand débat National manipulé dans son déroulement et dans sa conclusion, dès décembre !, et que Chantal Jouhanno n’a pas voulu donner dans ce traquenard, en soulignant d’ailleurs par ses conseils les risques pris selon l’expérience de la CNDP (Commission nationale du débat public). Aujourd’hui, MAcron rajoute une carotte à son baton du débat, en évoquant le suspense d’un référendum de clôture du débat (autre technique manipulatoire bien connue).
    à l’inverse, les GJ ont créé un site « le-vrai-débat.fr » qui reprend essentiellement les techniques et les critères de la CNDP ! DE plus le mouvement des GJ se structure avec des procédures de décision et de prise de parole étonnants dans leur préoccupation démocratique (comme je le réponds dans un commentaire à Timitoa). J’en viendrais à penser que les élections municipales de 2021 pourraient être un enjeu d’introduction (préalable) de techniques d’une autre vie démocratique des municipalités avec conseillers (en partie) tirés au sort, procédures participatives citoyennes, reddition des comptes et éducation politique populaire. Bref, un vaste champ d’expérimentation de démocratie active par opposition à la démocratie « représentative » et autonomisée en tour d’ivoire. En attendant aussi un chantier de démocratie nationale qui créerait une nouvelle république par modification de la constitution.
    Bref, s’il y a risque de pourrissement et surgissement d’hommes providentiels « pour que rien ne change », il y a aussi fermentation d’expérimentations sociales qu’il faut examiner et défendre.

    1. Disons que le débat fait rage chez les Amis du blog de PJ, au sein desquels trois lectures coexistent à propos des gilets jaunes:

      La première, fort heureusement très minoritaire, qui par un curieux renversement s’aligne sur la pensée présidentielle et sous-entend très fortement que le mouvement est téléguidé par Moscou avec l’aide de l’extrême-droite.

      La seconde qui est assez bien représentée par le billet de Timiota et qui en cherchant à caractériser la nouveauté s’en tient à une prudente expectative, tout en insistant sur les risques de récupération par l’extrême-droite.

      La troisième, que je partage, et qui pense qu’un mouvement réclamant très majoritairement plus de démocratie et de justice sociale, doit être à tout prix soutenu.

      En élargissant la focale à l’ensemble des revendications, il me semble que le dénominateur commun est le désir de se réapproprier un fait politique que les intérêts privés ont capté à leur seul profit, en prenant le contrôle de la classe des politiciens professionnels et en imposant le TINA.
      La nomination de M Macron, alliage parfait entre la haute fonction publique et le monde du CAC40, au poste de DRH de la start up’ nation marque à la fois l’acmé de la corruption systémique de la démocratie dite « représentative », et probablement sa fin. Les politiques néolibérales ont finalement eu raison du pacte social et républicain, et je ne vois guère d’autres possibilités que la violence policière et administrative pour qu’elles puissent espérer se maintenir.

      Si les donneurs d’ordre de M Macron pensent avoir une autre carte dans leur manche avec l’extrême-droite, il existe cependant une sortie par le haut pour les dessaisir du pouvoir : celle d’une démocratie directe qui imposerait un droit de regard continu du peuple sur les pouvoirs exécutifs et législatifs. Au travers du RIC, mais également de mandats révocatoires et impératifs.

      C’est me semble-t-il une voie réaliste pour échapper au chaos macronien.

      1. Pour incliner à penser dans votre sens, quelques indices dans ce qui suit, avant que ces infos ne tombent dans l’oubli (tactique éprouvée : omettre d’en parler..ce n’est pas mentir…).
        D.Schneiderman dans son dernier d’ ASI:
        … »  »  » Tiens, à propos d’enquête, mon attention du week-end a été attirée par un article de « Libé » [[https://www.liberation.fr/checknews/2019/01/31/cout-salaires-emplois-quelle-evaluation-a-ete-faite-du-cice_1705106?utm_source=neuf-quinze+-+non+abonn%C3%A9s&utm_campaign=9d1703e096-neuf-quinze_20190204&utm_medium=email&utm_term=0_75a6d6eebb-9d1703e096-195337677 ]] , sur le bilan du CICE.
        Notre vieil ami le CICE, ce génial dispositif de crédit d’impôt, imaginé par Hollande-Ayrault pour faire diminuer le chômage
        .
        Eh bien vous savez quoi ? Ce bilan du CICE, on ne le connaitra jamais. Parce que le gouvernement s’est arrangé pour en confier l’évaluation à trois organismes différents, qui ne sont pas d’accord entre eux.
        Seul point d’accord : le CICE aurait permis d’augmenter les salaires dans les entreprises qui en ont bénéficié. Ballot, quand l’objectif affiché de ce gros paquet de milliards était, au contraire, de pousser à embaucher pour faire baisser le chômage.
        Et les Gilets jaunes ne s’y sont pas trompés, qui demandent que ce dispositif soit réservé aux PME et aux TPE (c’est une des sept revendications retenues par les téléspectateurs de Hanouna, vendredi dernier).
        Pas de chance : Macron a annoncé qu’il serait pérennisé, sous forme de diminution de charges.
        Soit dit en passant, cela en dit long sur ces « évaluations », mantra de la politique macronienne. La suppression de l’ISF, par exemple, devrait être «  »évaluée » », avant d’être éventuellement revue. Si elle est évaluée de la même manière
         »  » « …

      2. Merci de cet éclairage, fort utile. Au fond la méfiance envers les gilets jaunes est répandue, sans élément probant pour avoir vraiment peur. Mais un risque de récupération politique droitière est à mesurer, de chacun des deux du 2e tour de la présidentielle.
        Je vous recommande de lire Annick Coupé (ancienne porte-parole de l’Union syndicale Solidaires et actuellement engagée dans Attac) car cela dit bien que les gens de gauche doivent quitter leurs refuges : https://lefildescommuns.fr/2019/02/04/mouvement-social-entretien-avec-annick-coupe/
        Quand je lis cela, je pense à celui qui a laissé tomher le jeu politique de son parti, quitté les villes, battu les campagnes pour rameuter une troupe de guérilla, c’était en 1949 au cours de la Longue Marche, avec une ligne de masse… On peut encore rêver.

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