L’anonymat du marché est une convenance bien utile qui permet de ne pas identifier les acteurs de tel ou tel événement financier important à propos duquel la discrétion s’impose. Notamment lorsque le marché – ou les marchés, au choix – tonne de sa grosse voix pour punir les récalcitrants à une politique de désendettement appelant à être courageux. Précision qui a son importance : font preuve de courage ceux qui imposent cette politique et non pas ceux qui en subissent les effets.
Comme tous les autres, le marché obligataire est le siège d’opérations concertées entre acteurs clairement identifiés. On y trouve en premier lieu les banques centrales, grandes détentrices des titres souverains, mais également les autres investisseurs institutionnels, comme par exemple les assurances. Elles détiennent sur ce marché une force de frappe sans équivalent, et elles sont même susceptibles de « faire le marché » à l’occasion. Ce qui conduit parfois à voir dans la main du marché celle d’une banque centrale qui se fait la main…
À point nommé à l’appui de cet éclairage, la Commission européenne accuse huit banques de s’être entendus durant la période cruciale 2007-2012, et d’avoir « faussé la concurrence sur le marché obligataire de la zone euro ». On n’en connaissait que quatre d’entre elles, lorsque la Commission avait annoncé, en décembre dernier, qu’elle engageait une enquête sur le marché obligataire. Selon plusieurs sources qui se recoupaient, Crédit Suisse, Crédit Agricole, Bank of America Merrill Lynch et immanquablement Deutsche Bank – toujours sur les bons coups – étaient visées.
Il était alors question « d’échanges d’informations » et de « coordination des stratégies » entre courtiers via des forums électroniques. Mais il est permis de douter de cette présentation bien innocente et ô combien humaine, l’expérience ayant montré qu’elle prélude à la sévère condamnation de lampistes qui ont généralement quitté la banque quand l’enquête les atteint. Le scénario est rodé et l’on prendra garde à le respecter. Afin d’éviter tout malentendu, la Commission tient d’ailleurs à préciser que son enquête porte sur « certains » travers et ne permet pas de tirer comme conclusion que cette pratique anticoncurrentielle était généralisée
On n’ira pas chercher plus loin.