Les investisseurs ne sont pas trop rassurés à l’entrée dans cette nouvelle année. Selon un usage bien établi, ils le manifestent en optant pour des valeurs refuges. Et, tout bien pesé, la dette publique est le meilleur qu’ils peuvent espérer trouver. Un paradoxe alors qu’elle est décrétée en Europe l’ennemi numéro 1 et que les interrogations grandissent à son sujet aux États-Unis et en Chine. Dans ces deux pays, va-t-elle être à force longtemps extensible ?
Signe des temps, près de 8.400 milliards de dollars de titres souverains affichent désormais un taux inférieur à 0%. Là où l’on attendait une hausse, c’est une baisse des taux qui prévaut à un rythme soutenu : le rendement des Bunds allemands à 10 ans est passé de 0,57 % il y a trois mois à 0,16 %, celui des Treasuries de 3,25% à 2,58% en deux mois. Au Japon, les investisseurs payent pour prêter, toujours à la même maturité de 10 ans.
La réduction progressive des programmes de soutien monétaire des banques centrales n’a pas eu comme effet escompté une hausse des taux sur le marché obligataire, d’autant plus qu’elles lèvent le pied devant les perspectives de faible croissance et d’inflation qu’il ne faut pas renforcer. Les investisseurs sont à l’origine de ce phénomène.
Celui-ci présente deux caractéristiques. Les achats sont dirigés sur les titres à longue maturité, délaissant les fonds monétaires qui financent les émissions à court terme, et les fonds indiciels côtés (les ETF) en sont le levier actionné. Signe d’une tendance qui va s’inscrire dans la durée, le marché pariant désormais sur une baisse des taux longs, les positions de ventes à découvert sur les « futures » à 10 ans ont été fortement réduites.
Les investisseurs ne sont pas les seuls à exprimer leurs craintes, les salariés également les manifestent en épargnant au lieu de consommer. C’est en particulier le cas en Allemagne, où un taux record d’épargne de 10,7% a été enregistré en décembre dernier, bien que le chômage soit au plus bas faisant espérer que la consommation intérieure allait compenser la baisse des exportations et tirer la croissance. Or c’est un ralentissement marqué de la croissance qui est attendu, si ce n’est même l’entrée en récession. Ce qui n’alimente guère les espoirs de ceux qui attendent de l’amélioration de l’emploi en Europe un obstacle au retournement de conjoncture.
Les statistiques sur l’emploi valent ce qu’elles valent, et quand sa qualité diminue, les revenus qui en résultent n’augmentent pas. Ainsi, le phénomène des « travailleurs pauvres » commence à être mieux documenté. Les salaires augmentent peu et il faut compter avec une autre nouveauté, la croissance des « travailleurs pauvres ». En Espagne, selon le ministère du travail, près d’une personne travaillant sur six (15%) vit actuellement dans la pauvreté, ce ne contribue pas à augmenter le pouvoir d’achat. Les stéréotypes – baisse du chômage égal augmentation des salaires – ne fonctionnent plus mécaniquement, mais ils ont la vie dure.
L’évolution de la situation en Allemagne, première puissance européenne, est à surveiller de près. Le pays ne peut plus compter sur les exportations de sa production de véhicules pour soutenir ses exportations, dont le volume s’affichait déjà en baisse en fin d’année dernière. Un recul de 1 % sur un an des commandes de la construction mécanique est déjà enregistré. Enfin, la Destatis (l’office fédéral de la statistique) a fait état d’une chute de la production industrielle de 1,9 % en novembre, après un recul de 0,8 % en octobre. Tous ces indicateurs témoignent d’une profonde dégradation de la situation économique, sans que l’on sache encore jusqu’où elle va aller.
Certes, l’Allemagne a les moyens de faire face, mais il va être difficile au gouvernement d’ignorer la nécessité de soutenir la croissance. Si cela n’intervient pas par le biais d’une augmentation des salaires, qui sont négociés entre partenaires sociaux, la baisse de l’inflation n’y suffira pas. Avec comme alternative de relancer une politique d’investissement. Mais dans les autres pays de l’Union, où les réserves financières font défaut, toutes entières prioritairement consacrées au remboursement de la dette, cela ne se passera pas aussi simplement. Et les tensions sur l’assouplissement des règles budgétaires vont se renforcer. Ainsi que leur traduction politique.
La finance, le politique, la planète, tout est cul par dessus tête.
C’est gravissime.
La finance ne se soigne pas par la finance, le politique par des compagnies de CRS ni la planète par le recours au capitalisme.
Gravissime. Inédit.