Au sein d’une crise devenue globale, tout à la fois financière, sociale et politique, les risques et les incertitudes ont pris une dimension accrue. Cela donne le sentiment que le monde tourne à vide, les autorités politiques dépassées quand elles ne se réfugient pas dans leurs certitudes bornées ou dans le déni, ce qui revient au même.
En lançant des appels répétés, qui ne sont pas entendus, à propos de la montée des inégalités et de leurs dangers croissants, les organisations internationales jouent les vigies et soulignent tragiquement ce hiatus. Sous la présidence française, le G7 s’apprête à mettre ce thème au premier plan, mais avec peu de chances que cela aille au-delà de ces paroles verbeuses auxquelles les politiciens professionnels nous ont habitués, le président français le premier.
Certes, Donald Trump prétend sauver du déclin les ouvriers et les agriculteurs américains, mais il les engage pratiquement dans une impasse. Des réponses gouvernementales novatrices et collectives seraient nécessaires, et c’est au contraire le chacun pour soi qui l’emporte. Comme si le capitalisme financier n’était pas en mesure de trouver une issue à sa dimension planétaire.
Dérisoire, une discussion sur la pente de la courbe des taux est engagée aux États-Unis dans des cénacles restreints, reflétant la crainte de la prochaine récession qui menacerait le pays. Son aplatissement en était jusqu’alors considérée comme le signal, mais est-ce bien toujours le cas, les récents épisodes n’ayant pas été suivis par des récessions, comme le rappelle Patrick Arthus de Natixis ? « Si la variabilité des taux à long terme a diminué, c’est parce que les banques centrales, depuis la crise, interviennent pour les stabiliser. » Et il poursuit : « les taux d’intérêt à long terme sont ainsi devenus de moins en moins des prix de marché régis par l’offre et la demande, mais de plus en plus des prix administrés par les banques centrales ». Et ce n’est pas demain la veille qu’ils seront totalement affranchis de cette tutelle.
Les analystes sont à la recherche de ce qui confirmerait le scénario d’une récession. Certains s’en tiennent à l’état de la courbe des taux, mais préconisent de ne prendre en considération que certains d’entre eux, à trois et dix ans. D’autres, comme Claudio Borio de la Banque des règlements internationaux (BRI), suggèrent d’utiliser comme indicateur une mesure des cycles économiques, sans hélas s’appesantir sur les détails de sa méthode. Les économistes, dont les avis partent désormais et sur tous les sujets dans tous les sens, en sont venus à douter de leur science et des indicateurs sur lesquels ils s’appuyaient sans savoir comment les remplacer.
Cela ne les empêche pas tous de percevoir l’avenir sous de sombres couleurs. Les dimensions sociales et politiques de la crise jouent de leurs effets aggravés. Pour ne prendre qu’elle en compte, la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis ne va pas se terminer de sitôt. La première va subir les conséquences de la hausse des tarifs douaniers en ne pouvant plus ouvrir en grand les vannes de son endettement comme précédemment. Les effets de la réforme fiscale américaine vont de leur côté s’estomper sans apporter la croissance destinée à financer l’accroissement de la dette. Tandis que la guerre commerciale va peser sur la croissance mondiale, avec comme pronostic une récession qui n’interviendrait pas en 2019, mais l’année d’après. Avec comme circonstance aggravante probable le rebondissement de la crise budgétaire italienne en Europe.
D’autres changements ayant un fort impact potentiel sont d’ores et déjà prévisibles. Les profits des entreprises du S&P 500 ont bondit de 20% cette année, mais ils vont sérieusement baisser l’année prochaine, avec le commencement de la fin de l’argent facile de la Fed. Grâce à ses libéralités, les entreprises ont dégagé de confortables marges en délaissant leurs activités manufacturières pour la spéculation financière. Beaucoup d’entreprises vont s’en trouver fragilisées après s’être engagées sur un terrain qui n’est pas le leur.
La situation est sans précédent et, pour le coup, sortir des territoires inconnus est pour les banques centrales aussi plein d’incertitudes que d’y pénétrer. Tous les montages financiers destinés à maximiser l’effet de levier y résisteront-ils ? Avec quelles conséquences systémiques ? Pour la première fois depuis dix ans, les marchés ne vont plus être pleinement soutenus par des politiques monétaires. On peut s’attendre à de forts et brutaux mouvements de capitaux sur les marchés qui feront des victimes tous azimuts.
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