Mario Draghi a confirmé à la fois l’arrêt des achats d’obligations au premier janvier prochain et la poursuite de sa politique non conventionnelle, qui a encore de beaux jours devant elle. La boîte à outils de la BCE est désormais bien fournie.
Il a apporté une précision que l’on retiendra : « Le quantitative easing fait désormais partie de la boîte à outils. Il est permanent. C’est quelque chose qui peut être considéré comme utilisable dans des situations imprévues que le Conseil des gouverneurs évaluera en toute indépendance ».
Autre précision d’importance de donnée, cet arrêt ne signifie pas que le stock de 2.600 milliards d’euros de ces titres inscrits au bilan de la banque, désormais plafonné, va diminuer pour autant. De nouveaux titres vont être achetés pour remplacer ceux qui arrivent à maturité et doivent être remboursés. De plus, les taux directeurs restent intouchés, ainsi que les deux autres programmes : les prêts à long terme du LTRO et, au cas où, les achats ponctuels de titres d’un pays en difficulté dans le cadre de l’OMT.
Prudents car conscients de la faiblesse de la croissance,
Mario Draghi et le Conseil des gouverneurs ont été encouragés a confirmer cette normalisation partielle par les récents évènements. L’Italie, à qui ce rôle était prêté, n’est pas celle par qui le malheur arrive, et les autorités européennes voient s’éloigner le cauchemar que cela aurait représenté. Le démantèlement de l’Europe se poursuit, mais il va emprunter d’autres chemins plus progressifs.
La BCE prend ce faisant le risque d’une reprise de la spéculation sur le marché de la dette obligataire, mais elle a été rassurée en constatant que les tensions sur les titres italiens ne se répercutaient pas significativement sur les titres espagnols et portugais. Et, comme l’a expliqué Mario Draghi, elle dispose des moyens lui permettant de vite réagir. A condition toutefois que son départ ne soit pas l’occasion d’un changement de politique. Un président sous influence allemande de la BCE ne sera pas opposé à laisser un gouvernement récalcitrant sous la pression des marchés, encore faut-il qu’elle s’exerce. Le cas de l’Italie a encore une fois montré qu’ils se sont révélés mesurés dans leurs réactions.
La BCE ne prend par contre aucun risque vis à vis du système bancaire européen, dont elle a approfondi la connaissance. Elle veille à parer à l’effondrement des banques zombies qui, dans les pays du sud, croulent sous le poids des prêts non performants (NPL) après avoir du adopter sous contrainte des plans d’austérité budgétaires. Mais elle a également d’autres soucis, plus au nord, avec les banques très exposées sur le marché des dérivés. Ainsi qu’avec les établissements allemands, dont l’état réel a été longtemps dissimulé par leur gouvernement. Ce dernier étudierait aujourd’hui une fusion des deux grandes banques privées Deutsche Bank et de Commerz Bank assortie d’une prise de participation publique, dans l’espoir de les renforcer. C’est dire !
La BCE entame son désengagement du bout des doigts. Le système financier de la zone euro est fragmenté. Prêteur en dernier ressort des banques, elle l’est devenue par la force des circonstances des Etats, imposant à ceux-ci des contreparties dont les établissements financiers étaient préservés. L’analyse est faite que la crise qui les lie et les affecte tous d’aiguë est devenue sourde. Et que dans une période de faible croissance, faute de mieux, il n’y a plus qu’à être très patient et vivre avec, avec de faibles marges de manoeuvre.
La relance de l’activité économique par l’endettement a échoué, les mécanismes de la transmission monétaire – c’est à dire d’encouragement des banques à consentir des crédits – n’ont pas fonctionné. La BCE a stabilisé le système financier, mais cela s’est fait au prix de son gonflement, augurant celui de sa prochaine crise aiguë. C’est pourquoi il devenait impérieux d’arrêter l’injection de masses de liquidités.
F.L. :… » » » La relance de l’activité économique par l’endettement a échoué, les mécanismes de la transmission monétaire – c’est à dire d’encouragement des banques à consentir des crédits – n’ont pas fonctionné » …
L’excellente Martine ORANGE(Médiapart) , aussi sans pitié : https://www.mediapart.fr/journal/international/141218/bce-une-politique-monetaire-contretemps-un-risque-pour-l-europe :
… » Le retrait de la BCE laisse d’autant plus perplexe qu’il se fait à un moment de tension rarement vu depuis des décennies. Dégradation de la conjoncture mondiale, guerres commerciales, montée du protectionnisme, tensions géopolitiques… en quelques mois, la situation politique et économique mondiale s’est détériorée à vue d’œil (voir notre série sur le désaxement des planètes). La Chine notamment, qui pendant dix ans a été le principal moteur économique du monde, donne d’importants signaux de ralentissement.
Alors que l’Europe commençait à peine à sortir la tête de l’eau après des années de crise, elle menace d’y retomber. Un à un, tous les indicateurs plongent : la production industrielle, les ventes à l’exportation, les carnets de commandes, la consommation. En Italie, l’activité économique est déjà tombée à zéro au troisième trimestre. L’Allemagne n’a enregistré qu’une croissance de 0,2 %, comme la France. Tout indique que la « décélération » va se poursuivre dans les mois à venir, en excluant même des facteurs exceptionnels comme une sortie non négociée du Royaume-Uni (Brexit dur) ou la poursuite du mouvement des « gilets jaunes ».
…(…)…
Comme aux États-Unis, la politique monétaire non conventionnelle de la BCE, ses déversements illimités de liquidités dans le système financier ont contribué à exacerber les inégalités : l’essentiel a été capté par la sphère financière. Profitant d’une politique à taux zéro, d’une expansion monétaire sans précédent, les acteurs financiers, notamment en France, se sont endettés tant et plus pour profiter d’un effet de levier gigantesque, au point de créer des bulles de tout et n’importe quoi. « Les actifs, des plus sûrs aux plus volatils, des plus liquides aux plus indéfinis, ont explosé, leurs valorisations étant démesurées », rappelait l’économiste espagnol Daniel Lacalle.
Conséquence : les grandes fortunes, dont le patrimoine est constitué essentiellement d’actifs financiers et immobiliers, ont vu leur niveau exploser, tandis que les salariés voyaient leur revenu stagner ou baisser. En dix ans, le nombre de milliardaires a été multiplié par quatre en Allemagne et en France, selon le rapport de Crédit suisse sur les grandes fortunes. Le 1 % des plus riches totalise plus de 35 % des richesses de la zone euro et les 10 % les plus riches plus de 60 % . » » »
Etc, etc, etc..jusqu’à la nausée.
Colère, colère…Le ratio est édifiant et explique à lui seul la montée des « populismes », y compris les gilets jaunes. Déjà des économistes comme Robert Reich l’avaient prédit il y a au moins une décennie, ou sinon plus, au début des années 1990 déjà, où il pointait du doigt, pour les USA, la dérive « sécessionniste » du pays, et du cercle vicieux de l’entre soi et du renforcement des inégalités. L’Europe suit la même trajectoire. Est-ce que les dirigeants politiques en sont vraiment conscients, ou simplement hypocrites et/ou corrompus, ou impuissants, ou quoi ?
Le problème réside dans le pouvoir de l’argent et dans sa corruption systémique de la classe politique. Corruption légalisée sous le terme de lobbying.
En transformant les hommes et femmes politiques en simples employés, en leur faisant voter des constructions juridiques qui placent les états sous le pouvoir des marchés, les plus puissants des intérêts privés ont tout simplement expulsé les peuples du processus politique.
Aujourd’hui la « démocratie représentative » représente exclusivement les intérêts de l’argent et ne laisse à la populace, pour donner le change, que les questions sociétales, celles concernant l’économie et la finance étant du domaine réservée de l’oligarchie.
Advint ce qui devait arriver, une rupture nette entre légalité et légitimité.
Avec les gilets jaunes: contre la représentation, pour la démocratie
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/121218/avec-les-gilets-jaunes-contre-la-representation-pour-la-democratie
Nombre de commentaires associés présentent aussi de l’intérêt..:
Puis-je en retenir celui-ci :
» » » L’analyse est à lire de bout en bout. Une leçon de pensée politique et de responsabilité militante, que devraient méditer tous ceux qui se pincent le nez sur cette multitude bigarrée de jaunes qu’ils n’arrivent pas à comprendre, à faire rentrer dans leurs catégories.
Face aux bien-pensants de « gauche » et notamment le petit monde élitiste de l’entre-soi culturel, dont le silence est assourdissant, l’appel de Dardot et Laval est tout à fait bienvenu, si l’on veut tirer le bon grain de cette révolte populaire – un élan démocratique sain – plutôt que de le laisser retomber au risque de voir en ressortir plus tard une mixture qui fera le lit à l’extrême droite.
Ceux de gauche qui s’ébouriffent aujourd’hui contre les « risques de dérive » de la révolte populaire (comme Ariane Mnouchkine ces jours-ci à une tribune de Télérama), qui s’embarrassent dans des circonvolutions oratoires en prônant l’extrême prudence, portent une énorme responsabilité vis-à-vis du risque qu’ils dénoncent : c’est justement parce qu’ils se tiennent à distance des Gilets Jaunes, pleins de défiance, qu’ils leur donnent le pire des signes: « nous la gauche bien pensante, nous ne sommes pas avec vous, nous ne pouvons rien pour vous »… C’est justement par cette méfiance et ce manque d’empathie qu’ils les pousseront vers ce dont ils ont si peur… » » « .
Et, pour conclure, à partir de votre propos premier ; » Le problème réside dans le pouvoir de l’argent et dans sa corruption systémique de la classe politique. Corruption légalisée sous le terme de lobbying « …. il convient de prendre connaissance, même si c’est avec prudence, du contenu de certain « best-seller » commun aux ronds-points, saine lecture de déniaisement pour beaucoup, je le crains :
http://branco.blog.lemonde.fr/files/2018/12/Macron-et-son-Crepuscule.pdf
» Ça s’lit comme un roman dis-donc » !!…
Merci.
Avec prudence, en effet…
Un vrai roman échevelé.