En s’engageant dans la voie de réformes répondant aux canons de beauté des autorités allemandes, le président français espérait obtenir en retour les moyens de favoriser la relance de l’économie européenne. Or elles ont adopté une autre ligne de défense, en faveur de leur propre économie, afin de ne pas être financièrement entraînées dans la crise des autres. La recette en est simple : elles pratiquent l’union et excluent la solidarité.
La politique du président français suscite un brutal et impressionnant rejet, la colère des « gilets jaunes » exprimant, bien au-delà de la taxation du diesel qui a servi de détonateur, le ressentiment partagé d’une profonde injustice porteuse de la menace d’un déclassement.
Que veulent les « gilets jaunes » ? Dépourvus de cahier de revendication et de représentants identifiés, ils posent un problème inédit au gouvernement. Avec quelles mesures les faire rentrer chez eux ? avec qui négocier ? Le danger est par contre qu’ils entraînent dans leur sillage d’autres protestations, comme celle des lycéens qui est la plus redoutée.
Le baromètre BVA-La Tribune est instructif. Selon ce sondage, 82% des Français attendent en priorité une revalorisation des petites retraites, 77% réclament une revalorisation du SMIC et 71% le rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF). Viennent ensuite le report de la hausse des prix des carburants pour 70% et une revalorisation des aides au logement pour 59%. 75% des Français jugent que la politique économique menée actuellement par le gouvernement est « mauvaise ». La comparaison avec les résultats de décembre 2017 illustre un vrai basculement de l’opinion publique : il y a encore un an, 49% des Français estimaient que la politique économique était favorable et 48% la jugeaient défavorable.
Voilà qui sonne le glas d’une politique et explique le soutien dont les « gilets jaunes » bénéficient dans l’opinion, qui a grimpé de six points par rapport au début du mois et atteint 71%. C’est toute une vision de la société qui est rejetée, où les pauvres sont maintenus le nez hors de l’eau par des mesures d’assistance, où les classes moyennes supportent l’essentiel des efforts, et où les plus nantis accroissent leur patrimoine. Telle est en effet la recette du capitalisme financier.
Après l’Italie, à la recherche d’un budget de compromis et l’Espagne, qui risque fort de ne pas adopter le sien, la France n’est pas à l’écart de la crise politique multiforme qui continue de secouer l’Europe, dont elle tend à devenir une donnée permanente.
Avec leurs alliés des Pays-Bas à la manœuvre, les autorités allemandes préparent la poursuite de leur politique d’austérité et d’accroissement des inégalités. Au sein de la réunion de cette semaine de l’Eurogroupe, la discussion sur le renforcement de l’Europe n’a pas conclu, renvoyant à plus tard l’essentiel des décisions.
L’Union bancaire n’a toujours pas de troisième pilier, alors que des pans entiers du système bancaire sont toujours contaminés par la détention d’actifs toxiques, les NPL, surtout dans les pays du sud. Suivant la bonne vieille formule, un groupe de travail a été chargé de remettre un rapport en juin 2019, une fois les élections européennes passées.
Le MES va prendre la place du FMI, écartant ce gêneur qui pose le problème de la soutenabilité de la dette, et donnant aux autorités européennes le contrôle des contraintes auxquelles ses prêts seront assujettis. Quant au budget propre de l’Eurozone, il n’aura plus comme objectif de soutenir la relance de l’économie mais le financement de la convergence et l’amélioration de la compétitivité.
Tout au long de la réunion de l’Eurogroupe, la danse a été menée par les autorités hollandaises, soutenues par un ministre allemand du SPD ayant endossé les positions de la CDU. Rappelé à Paris dans l’urgence à cause des gilets jaunes, le ministre français n’a pu faire valoir que la maigre acceptation dans son principe d’un budget de la zone euro dont l’enveloppe n’est toujours pas déterminée et l’objectif détourné.
Une négociation franco-allemande s’est parallèlement tenue. La taxation des services numériques n’a abouti qu’à un projet très en retrait par rapport à celui de la Commission. Une taxation de 3% sur le chiffre d’affaires – et non pas sur les bénéfices – est bien prévue, mais il exclut de son assiette la commercialisation des données et ne conserve que la vente de la publicité en ligne. En d’autres termes, elle atteint Google et Facebook et épargne Amazon et Apple.
Question calendrier, les autorités allemandes et françaises appellent à l’adoption de cette directive au plus tard en mars 2019, afin qu’elle entre vigueur en 2021. Elle expirera en 2025, le gouvernement allemand privilégiant la taxation prévue dans le cadre de l’OCDE, pour 2020. Une manière de repousser le projet en le faisant dépendre de l’accord fort peu probable des États-Unis. Le gouvernement français a avalé toutes les couleuvres afin de sauver cette taxe et pouvoir l’inscrire à son bilan.
Dans la volonté allemande de réduire la portée de cette taxation dont l’instauration était prévue de longue date, on sent peser dès à présent les négociations à venir à propos des augmentations de la taxation des produits d’origine européenne, qui est pour l’instant seulement suspendu par Donald Trump
Celui-ci a rencontré les PDG de Daimler, Dieter Zetsche, de Volkswagen, Herbert Diess, et le directeur financier de BMW, Nicolas Peter, afin d’explorer les intentions des constructeurs automobiles quant au déplacement de leur production pour la localiser aux États-Unis. L’achat des voitures allemandes et le commerce de leurs pièces détachées représentant en effet 30 milliards de dollars, soit un peu moins de la moitié du déficit commercial total avec l’Allemagne, qui pourrait ainsi être réduit. La Commission conserve ses prérogatives en matière de négociations commerciales, mais il n’est pas interdit d’y mettre le nez au prétexte de les faciliter.
Les dirigeants européens sont parvenus à ne parler que d’une seule voix à propos du Brexit, ce n’est pas le cas avec l’administration américaine…
Déjà plombés dans l’hexagone par un exécutif vendu à la finance, voici la pauvre France condamnée à voir passer la stratégie européenne au-dessus de sa tête.
Décidément, rien ne va plus au pays de Voltaire.
La Grèce ayant été un laboratoire social, est-il nécessaire de préciser la suite des événements ?
Les projets étaient déjà dans les cartons
https://youtu.be/s4Z2ahTnReg
Après avoir « dompté » les cheminots durant ce printemps et alors que la réforme de la Sncf conduira à supprimer de nombreuses lignes et semble être un échec annoncé https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/12/05/sncf-reseau-pour-la-cour-des-comptes-la-reforme-ferroviaire-de-2018-n-est-pas-suffisante_5393088_3234.html, le gouvernement a cru qu’il avait un boulevard devant lui assuré d’avoir mis KO un salariat particulièrement combatif.
Nous célébrons le centenaire de l’armistice de 1918, la blitzkrieg engagée va t’elle se transformer en guerre des tranchées ou en un terrible boomerang ?
Oui, oui et trois fois oui….! (le scénario était écrit, y compris la fin, c’est à dire ce qui est en train de se passer maintenant, c’est à dire que comme le nom l’indique, la « guerre éclaire » est… courte). A la différence de ce « couillon » de Fillon, qui expose le plan en le décrivant par le menu, et avec la rigidité bornée du personnage, Macron a voulu l’assortir d’un visage beaucoup plus avenant, avec certains « adoucisseurs » prévus dans son « programme » à l’époque : une relance européenne (numérique, écologie et défense), une suppression (partielle) de la taxe d’habitation et un plan formation massif pour faire face à la révolution numérique et au chômage….Echec. Aujourd’hui on peut bien dire qu’il se retrouve « Grosjean comme devant », et l’oligarchie ou la techno-structure risquent bien de le lacher pour ne pas porter le chapeau…. A la différence du billet, je dirais que la crise politique est déjà bien là en France. Mais l’histoire n’est pas écrite….
Cela ressemble à la fin d’un cycle.
La tentative d’obtenir des autorités allemandes un budget européen « complétant » l’euro, dans l’espoir de le pérenniser, est un échec. Ceci en dépit de circonstances aussi favorables qu’on peut les rêver : isolation diplomatique de l’Allemagne (Royaume-Uni, Italie, Pologne, Etats-Unis) qui ne peut compter que la France comme allié, président français jeune et au verbe pro-européen charismatique, programme déterminé et crédible pour réaliser « les réformes », c’est-à-dire un alignement rapide de la France sur la stratégie économique décidée au niveau européen…
Non seulement cette tentative, la plus vigoureuse, intervenant dans les circonstances les plus favorables, est un échec retentissant. Ce qui pourrait déjà suffire à convaincre que l’objectif, compléter l’euro afin de le viabiliser à terme, est inatteignable.
Mais encore cette tentative sera en toute probabilité la dernière, vu la réaction brutale de la majorité du corps social, et réaction pas nécessairement arrivée à son terme qui plus est.
La conclusion est difficile à éviter. Sans même parler des potentialités de la situation italienne de déboucher à relativement court terme sur des troubles mettant en danger l’union monétaire, de toute façon à moyen terme la France va se rebiffer contre les contraintes de la monnaie unique. Bien malin qui saurait dire quel président succédera à Macron, quoi qu’il en soit volontairement ou involontairement il ou elle mettra fin à la zone euro.
L’euro est condamné à plus ou moins court ou moyen terme.
Que peut faire un président jeune et ambitieux, peut-être assez lucide pour constater l’échec irrémédiable de son plan, après seulement dix-huit mois ?
Impossible à prévoir, naturellement. Je propose trois scénarios :
1. Le Raidissement
Arc-bouté sur l’incontestable légitimité gagnée dans les urnes en 2017, refusant de voir l’effondrement de cette légitimité en décembre 2018, le président maintient son projet, modulé de simples concessions de façade.
Nous sommes actuellement dans cette phase. Il pourrait cependant s’agir d’un scénario-limite, car si les protestations continuent et si le soutien de la population ne faiblit pas, cette posture pourrait devenir intenable.
2. L’Inflexion
Prenant en compte la réalité politique sans pour autant changer la teneur fondamentale de son projet, le président s’appuie sur la contrainte intérieure pour « forcer » une levée de la contrainte extérieure, afin de se donner des marges de manœuvre.
En pratique, il annonce une levée temporaire unilatérale de la limite des 3% de déficit (option déjà mise en avant par son conseiller l’économiste Aghion). Jointe à une augmentation de la fiscalité sur les très hauts revenus, cela lui permet de diminuer sensiblement la taxation des moins aisés en même temps que de réaliser des investissements pour « verdir » l’économie avec un rôle moindre pour la taxe carbone.
L’Allemagne, que seule la France empêche d’être totalement isolée parmi ses principaux partenaires (Royaume-Uni, Italie, Pologne, Etats-Unis), grogne mais est forcée d’accepter. Bruxelles de même.
En revanche, les fondamentaux du projet présidentiel ne changent pas.
3. La Conversion
Secrètement désespéré depuis quelques temps par l’échec de sa réforme européenne, Emmanuel Macron décide qu’il regardera en face le fait que l’euro ne sera pas sauvé.
Il calcule que poursuivre son projet dans ces conditions ne l’amènera qu’à la même fin que François Hollande, et à une retraite ignominieuse à 44 ans, d’autant que le ou la populiste qui lui succédera non seulement démantèlera l’euro mais encore l’UE toute entière, ce qui personnellement lui répugne.
Il décide que le meilleur moyen d’empêcher cela est de démanteler l’euro volontairement, de telle manière que l’essentiel du reste des institutions de l’UE demeure debout. Qu’il est la seule personne à même de réussir un si difficile challenge. Et que cela pourrait bien être le moyen le plus sûr d’assurer son avenir, qu’il n’imagine que sur les sommets.
Peut-être commencera-t-il par le scénario de l’Inflexion. Mais il prépare déjà la suite.
Ce scénario pourrait être limite, comme le premier, car il suppose chez Emmanuel Macron une capacité de décision et une audace peu commune.
4. L’abdication