Le débat clé sur le meilleur moyen de réduire l’endettement massif rejaillit à propos de l’Italie après être réapparu en Grèce. On sait qu’il n’y a pas trente-six mille manières d’y parvenir, une forte inflation et une forte croissance étant les préférables. Par défaut, il ne reste que le réaménagement de la dette, et dans les cas ultimes sa restructuration. Mais, longtemps monnaie courante, cette dernière option est devenue un interdit, au nom des intérêts supérieurs du système financier.
Les deux premières options ont peu de chances de régler le problème dans le contexte actuel, et la dernière relève du tabou. C’est donc par des mesures de rééchelonnement de la dette grecque que la question primordiale de sa soutenabilité a été éludée en la repoussant à plus tard.
Comment procéder dans le cas de l’Italie ? Faut-il aller à l’affrontement en jouant la pression irrésistible des marchés, et en assumer toutes les conséquences, ou bien rechercher un compromis ? Wolfgang Schäuble, du temps où il était ministre des Finances et en charge du dossier grec, avait dans un premier temps choisi la première attitude, avant de finalement opter pour la seconde.
Le débat sur la dette italienne couvait dans les instances européennes, en particulier en Allemagne où se fera la décision, et il vient d’apparaître publiquement. David Folkerts-Landau et Jörg Krämer, respectivement économistes en chef de Deutsche Bank et de Commerzbank – les deux principales banques allemandes – s’expriment contradictoirement dans les colonnes du Financial Times pour le premier, et dans celles de Handelsblatt pour le second.
David Folkerts-Landau observe qu’en matière de déficit budgétaire, l’Italie fait partie des bons élèves de la classe depuis la création de l’euro, et que c’est le coût du service de la dette qui pèse principalement sur son déficit. Ainsi, il remarque que les émissions obligataires intervenues depuis 2000 ont servi à payer les intérêts des titres précédemment émis. Afin de détendre la situation, il propose l’intervention combinée du Mécanisme de stabilisation de l’économie (MES) et de la BCE pour rééchelonner ses remboursements. Le MES financerait aux taux du marché ce dispositif, afin que cela ne s’apparente pas à un soutien budgétaire prohibé, et la BCE activerait son programme OMT afin de faire baisser les taux de la dette italienne en achetant ses titres sur le marché. En contrepartie, le gouvernement italien s’engagerait à mener à bien les réformes structurelles, ce cœur idéologique de la politique économique de l’Union.
L’économiste en chef de la Deutsche Bank a averti que faire dépendre le désendettement du seul accroissement du surplus budgétaire renvoie à l’erreur, précédemment commise en Grèce. Il aurait pu rappeler le FMI a reconnu dans le cas de la Grèce une utilisation de triste mémoire du « coefficient multiplicateur » qui ne l’a pas grandit.
Son homologue de la Commerzbank s’en tient pour sa part à une argumentation des plus sommaire en défendant la plus stricte fermeté pour laisser agir le marché. La discipline budgétaire est prioritaire à toute autre considération afin de préserver la cohésion idéologique de la politique économique de l’Union. Un point de vue qui manque peut-être un peu de souplesse, mais qui a le mérite d’être en phase avec celui du Bundestag, qui sera appelé à approuver un quelconque plan.
Alors que David Folkerts-Landau manifeste la crainte devant les conséquences européennes d’une crise italienne aiguë, Krämer préfère les minorer. Serait-ce parce que l’exposition à l’Italie des banques allemandes est bien moindre que celle des banques françaises ? Ce serait faire un calcul fort peu réaliste qui reflèterait combien la pensée économique allemande est bardée de dangereuses certitudes.
Les autorités européennes s’engagent dans le débat sur la dette à reculons, le fait n’est pas nouveau. Ne pouvant d’une main consolider le système bancaire avec des titres de celles-ci pour renforcer ses capitaux propres, comment pourraient-elles abandonner la fiction selon laquelle elles ne sont porteuses d’aucun risque ? Il faut choisir ! Ce n’est pas seulement pour des raisons idéologiques que toute restructuration de la dette des pays avancés est impossible, c’est parce que, tout particulièrement dans le cas de l’Europe, le système bancaire n’y survivrait pas. Alors quoi faire si ce n’est renvoyer au plus tard possible le débat sur la restructuration ?
Billet intéressant qui révèle une constante que l’on peut énoncer comme suit: « L’argent qui manque au départ manque à l’arrivée. Le phénomène de cavalerie conduit inéluctablement à la faillite ».