Ce serait faire preuve de cruauté que de décompter les dossiers européens en instance prolongée, par exemple en exhumant celui de l’Union bancaire dont un des trois piliers est toujours porté manquant. Ou, plus présent dans l’actualité, l’adoption d’une politique migratoire, une fois constatée l’inadéquation criante des accords de Dublin auxquels les dirigeants se raccrochent. Faute de mieux, Emmanuel Macron tente de relancer son projet d’armée européenne afin d’être ainsi en phase avec un besoin de protection. Mais c’est accorder beaucoup de pouvoir aux mots quand le passage à l’acte sur ce projet comme sur tous les autres est soumis à tant de prévisibles embuches.
La taxe numérique est la dernière victime en date. Une réaction s’impose en effet, face aux pertes de recettes occasionnées par l’optimisation fiscale dont est championne l’industrie numérique en Europe. Un sujet que l’on pourrait croire prioritaire en ces temps de disette budgétaire. Néanmoins, l’Ecofin, la réunion des ministres des Finances de l’Union, n’est pas parvenue à trouver un accord à son propos. La présidence autrichienne a émis le vœu qu’elle y parvienne d’ici la fin de l’année.
Cela s’annonce mal. Le camp des partisans de l’adoption, emmené par la Commission et soutenu par la France, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne, devrait certes l’emporter, mais la règle de l’unanimité qui prévaut en matière fiscale permet aux États qui tirent profit de l’optimisation fiscale, comme l’Irlande, de bloquer la décision.
La crainte de mesures de rétorsions américaines explique la position allemande, qui propose de reporter toute décision à 2020, une fois que l’OCDE aura adopté une position. L’industrie automobile allemande a beaucoup à perdre du projet pour l’instant suspendu de Donald Trump de taxer les voitures importées et il ne faudrait pas le provoquer, les industries numériques concernées par la taxe numérique étant toutes américaines. Cet attentisme vaut enterrement, car on voit mal le gouvernement américain laissant l’OCDE adopter le principe d’une taxe mondiale pénalisant les intérêts américains. D’autant plus que Donald Trump a déjà obtenu que les entreprises fautives rapatrient aux États-Unis leurs profits des pays où ils étaient moins taxés…
Sans un véritable gouvernement européen, l’armée du même bois restera une vaste blague, un simple bobard à vocation électoraliste. Avoir un bras armé et 27 cerveaux le commandant ne peut mener qu’à la paralysie.
Étant donné les positions divergentes de ses gouvernements, qu’aurait-on fait d’une armée européenne lors de l’invasion de l’Irak en 2003 ? Nous aurions envoyé les hommes en caleçon sans leurs matériels, ou seulement leurs matériels ?
(Juste un exemple bien sûr. L’invasion de l’Irak était illégale et si on avait voulu punir les responsables du 11/09, il aurait fallu envahir l’Arabie-saoudite – et incidemment le siège de la CIA qui avait trouvé géniale l’idée d’instrumentaliser la religion dans sa lutte contre les soviétiques en Afghanistan).
Une armée européenne ? Quelle horreur. Si elle avait existé en 2003, elle aurait agressé l’Irak en compagnie de l’état voyou nord-américain : la majorité des pays de l’U.E. adhèrent à l’OTAN, l’instrument de domination atlantiste
Quant au gouvernement européen, rassurez-vous, il existe déjà, c’est le gouvernement allemand auquel les élites françaises ont choisi de se soumettre, vieille habitude…
En 2003, le RU a suivi le Grand Large, ainsi que la Pologne, mais la France (le fameux discours de Villepin aux Nations-Unis) et l’Allemagne s’étaient clairement opposées à la guerre.
L’Allemagne dicte effectivement la politique européenne puisque l’Euro n’est que le faux nez du deutschemark et que le pacte de stabilité et de gouvernance grave dans le marbre les excédents commerciaux allemands, et par conséquent les déficits structurels de la plupart des autres pays de l’Union. Pour autant peut-on parler de gouvernement quand le résultat prévisible (inévitable même) n’est plus le développement ni même la simple préservation de la chose gouvernée, mais son explosion ?
Bien sûr. Un enfant de cinq ans peut comprendre que lorsqu’un pays mène une politique stupidement égoïste, l’explosion devient inévitable. Il faut le travail habile de faussaires comme Cohn-Bendit pour dissimuler une telle évidence
Je rajoute qu’il n’y a aucune justification à partager la dissuasion nucléaire ou le siège de l’Onu avec l’Allemagne, ce qu’envisage pourtant leur plus proche collaborateur Emmanuel « Bibi » Macron, dès lors que l’Allemagne ne fait aucun compromis sur la monnaie ou la taxe numérique.
Il est certain que lors de l’implosion de l’UE, l’Allemagne va se replier sur l’hinterland de ses pays vassaux, et que beaucoup parmi les donneurs d’ordre gouvernementaux voudront alors y amarrer la France.
(Roberto) : … » peut-on parler de gouvernement quand le résultat prévisible (inévitable même) n’est plus le développement ni même la simple préservation de la chose gouvernée, mais son explosion » ?…
Il y a pire (« pire », à mon sens, car certains, les plus nombreux dont je suis, sont condamnés à vivre en direct, apparemment impuissants, la déchéance puis l’ « effacement sociétal » de trop nombreux congénères..) que l’explosion d’une société humaine… sa rétraction en « couches/strates » étanches les unes aux autres mais conservant globalement une apparence « normale », fantasmée et célébrée médiatiquement tant par l’autorité nationale qu’internationale..
C’est le cas de la société grecque, dont le périple est analysé avec froideur et concision dans ce récent entretien mené par Aude Lancelin (« Le Média »), qui vaut vraiment le détour…
https://www.youtube.com/watch?v=LY1rTFekveU
» Comment la boucle fut bouclée ».
Merci beaucoup pour le lien. Une interview à écouter absolument, que l’on soit conscient ou non de la véritable nature de l’Union européenne !
(à 15mn20) « Tout dirigeant de gauche qui ne dit pas explicitement comment il va s’y prendre pour ne pas faire comme Tsipras, ne mérite pas le moindre crédit ni la moindre attention ».
Tout est dit.
Oui, en effet, je crois qu’on le savait depuis un certain temps….! Et j’espère au moins que l’expérience de la Grèce, à défaut d’avoir été une capitulation mortifère pour Tsípras et pour la gauche (et pour le peuple grec) face au rouleau compresseur de la Troïka (néolibérale), servira de leçon profonde pour la suite. L’interview est clair et dépassionné, et montre avec le recul une fois de plus l’échec patent de l’esprit de compromis, en faisant par avance des concessions pour s’attirer des grâces du plus fort, ce qui a mené à une reddition totale, pire que tout, avec l’humiliation et la résignation en plus : bilan, l’équivalent d’une faillite pire que les années trente, etc…La leçon vaut pour tous les pays, y compris la France : quand on repense à la démarche qu’on a vu se dérouler récemment à l’occasion des dernières présidentielles, où, par je ne sais pas quelle lubie, tous les candidats de droite jusqu’aux socialistes (Hamon), sont allé faire une visite de courtoisie à Mme Merkel pour faire par avance, acte de soumission. Grosjean comme devant, le meilleur élève de la troupe, Macron himself, est ce jour, il faut bien le dire, cocufié. Son plan, qui se défendait par une certaine cohérence, de vouloir se montrer « discipliné » sur l’application des principes austéritaires et ordo-libéraux de l’Allemagne en politique intérieure, en contrepartie d’une relance au niveau européen, est un fiasco total. L’histoire jugera, à la fois sur cet esprit timoré de l’Allemagne, et sur cet espèce d’esprit de collaboration vis à vis de l’Allemagne que semblerait avoir intégré par une bonne partie de « l’élite » française. Pour le coup, il y a de quoi sur le sujet (et pas seulement…) de vraiment devenir toddien ! A noter que pour moi, ce fiasco explique largement pour moi le désarroi actuel de Macron. Pour ceux qui ont suivi, ce remémorer la conférence (en Anglais) que Macron était allé faire devant un parterre d’éminentes personnalités dans une université allemande, pour en quelque sorte défendre son projet avant les élection….La situation est aujourd’hui à des années-lumières, et je crois à un sacré malentendu entre les deux parties (en fait on n’en sait pas beaucoup sur les opinions et la vision des Allemand). L’Italie fait office aujourd’hui de laboratoire « expérimental » bien que beaucoup plus affaiblie que la France (2 milllions de jeunes ont émigré, et souvent les plus diplômés, beaucoup en Allemagne justement, ou en Autriche – on marche sur la tête !)… et ne parlons pas des autres pays. Oui, il serait urgent de penser un contre-projet européen, avant de démolir l’actuel.