Nous n’en sommes pas du tout arrivés aux dernières extrémités. L’apocalypse européenne est repoussée à plus tard. Face à face, le Premier ministre italien Giuseppe Conte et le commissaire Pierre Moscovici continuent d’affirmer dans tous les médias leur volonté de dialogue, la seule chose sur laquelle ils sont d’accord.
« Nous ne sommes pas des têtes brûlées » martèle le premier, comme l’avaient précédemment affirmé Matteo Salvini et Luigi Di Maio, les leaders de la Ligue et du Mouvement des 5 étoiles. Le Premier ministre a ajouté : « écoutez-moi bien : pour l’Italie, il n’y a aucune chance d’Italexit, de sortie de l’Europe ou de l’eurozone ». Quant à la Commission, qui s’exprime par la voix de son Commissaire allant au charbon, elle « ne veut pas d’une crise entre Bruxelles et Rome », car « la place de l’Italie est au cœur de l’Europe ». Il ne reste plus qu’à se mettre d’accord.
Pierre Moscovici ne fait pas assaut de clarté en déclarant à propos de ses interlocuteurs « je n’ai pas senti qu’ils allaient bouger, mais j’ai senti une chose très importante pour moi, c’est de dire ‘nous pouvons être en désaccord, mais nous sommes en désaccord dans le cadre de règles communes qui sont les règles européennes’ »… Quel dur métier !
Faisant contraste, Giuseppe Conte clarifie ses raisons de refuser de revenir sur ses prévisions budgétaires 2019, après avoir fait le geste de réduire le déficit les deux années suivantes. Pour justifier les prévisions de déficit structurel qui sont contestées, il fait dorénavant valoir que « c’est une décision difficile mais nécessaire à la lumière du retard mis à retrouver le niveau de PIB d’avant la crise et des conditions économiques dramatiques dans lesquelles se trouvent les couches les plus désavantagées de la société italienne ».
Mais, face aux doutes qui s’expriment à propos des prévisions de croissance adoptées pour le budget, il prend un engagement. « Si les rapports dette/PIB et déficit/PIB ne devaient pas être en ligne avec ce qui est prévu, le gouvernement s’engage à intervenir en adoptant toutes les mesures nécessaires afin que les objectifs indiqués soient rigoureusement respectés ». En clair, à repousser des mesures contestées par Bruxelles en raison de leur impact financier.
Le débat prend une toute autre dimension, alors que va s’ouvrir la campagne électorale pour les élections européennes. Il ne s’agit plus d’opposer la souveraineté italienne à la dictature de Bruxelles et de faire un chantage à la sortie de l’euro, mais d’intervenir face à une situation sociale dramatique, qui n’est pas propre à l’Italie. Giuseppe Conte rajoute que c’est tout aussi indispensable afin d’éviter que le pays ne retombe dans la récession.
Pierre Moscovici se veut conciliant, mais il a ses limites. « Le maximum que nous pouvons faire, c’est une possibilité, nous allons en débattre, c’est de demander à l’Italie de resoumettre un autre budget qui tienne compte des observations, des questions et aussi des règles européennes », ajoutant que « ce serait une première ».
En attendant, cela fournit l’occasion, toute l’attention étant focalisée sur le cas italien, à d’autre pays de passer l’examen de passage budgétaire de la Commission plus aisément. Pour la première fois, il a fallu le temps, un gouvernement met en cause l’application du Traité. Il va être difficile de reporter à après les élections le débat d’orientation qui vient d’être ouvert sur un autre mode que celui qu’avait choisi Emmanuel Macron.
Raison de plus pour assurer la succession de Jean-Claude Juncker avec comme objectif le verrouillage de la situation. Dans l’immédiat, certains gouvernements – comme le français – s’en sont remis à la Commission pour traiter le cas italien afin de ne pas monter en première ligne, ce qui serait mal à propos, eux-mêmes ayant à se faire pardonner.
La situation est tellement grave pour une UE qui prend l’eau de toutes parts, que la Commission a finalement opté pour l’inflexibilité :
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/10/23/20002-20181023ARTFIG00198-la-commission-europeenne-rejette-le-budget-italien-une-premiere-dans-l-histoire.php
On attend maintenant la réaction de Lemarché…
Dans cet entretien, https://www.lemediatv.fr/lentretien-libre/20-italie-laboratoire-du-desastre-europeen-stefano-palombarini/
Stefano Palombarini est assez circonspect sur la politique du nouveau gouvernement italien qui selon lui reste dans les clous et ne remet nullement en cause le néolibéralisme prôné par la Commission européenne.
https://www.ilfattoquotidiano.it/2018/10/25/moscovici-nel-2012-attaccava-i-tecnocrati-ue-il-cronista-glielo-ricorda-come-di-maio-e-lui-era-campagna-elettorale/4720169/
En 2012 Moscovici attaquait les technocrates de l’UE, comme un journaliste le lui a rappellé. La réponse de Moscovici a été: « C’était pendant la campagne électorale. »
Commentaires de Di Maio (d’après Il Fatto Quotidiano):
« Comme nous l’avons déjà dit, nous sommes prêts à engager le dialogue avec la Commission européenne, mais je voudrais que Moscovici, au cours de ce dialogue, se souvienne de ce qu’il a dit lorsqu’il était ministre et réalise que ce qui vaut pour la France ne peut pas ne pas valoir pour l’Italie. Nous sommes deux pays fondateurs et nous sommes deux pays souverains. Oui au dialogue, mais nous nous allons de l’avant. Moscovici, comme il l’admet lui-même, ferait de même à ma place ». C’est ce qu’affirme le ministre du Développement économique et du Travail, Luigi Di Maio, dans un post sur Facebook faisant référence à une question posée au commissaire aux affaires économiques, Pierre Moscovici, au sujet de déclarations faites lorsqu’il était ministre français de l’économie.
A l’appui de ce commentaire, Di Maio a posté une vidéo qui montre le moment où le journaliste du Corriere della Sera Ivo Caizzi pose la question qui embarrasse Moscovici : « Vous verrez l’embarras de l’actuel commissaire Moscovici – écrit Di Maio -, c’est lui qui a rejeté notre manœuvre [les mesures décidées par le gouvernement italien] et qui a passé des journées entières à critiquer le travail de notre gouvernement dans la presse. Admettez que quand il était ministre des Finances en France il avait des positions très similaires à celles que j’ai exprimé au cours des semaines précédentes.
Le journaliste Caizzi cite une vieille interview que Moscovici a donnée au New York Times, alors qu’il était ministre des Finances en France : « Vous avez critiqué les technocrates de Bruxelles parce qu’ils ont une vision néolibérale et en tout cas orthodoxe. Vous disiez être socialiste et avoir une ligne différente, et vous avez également dit : « Nous avons des élections libres en France et nous déterminons donc nos politiques. » Pouvez-vous expliquer ce changement d’attitude à notre égard ?
La réponse du commissaire vient après un certain temps et trahit un embarras évident : « Je me suis demandé d’où venait cet entretien, puis je me suis rendu compte qu’il s’agissait de propos de campagne électorale. Je me souviens d’avoir été ministre des Finances de la France. Je voudrais donc dire deux choses : la première, et ce n’est pas quelque chose que je souhaite à l’Italie, c’est que la France a vécu pendant dix ans en déficit excessif. Deuxièmement, lorsque je suis devenu ministre des Finances et que je suis arrivé au pouvoir, c’est moi qui, par rapport à une période de 15 ans, ai entre 2012 et 2014 le plus réduit le déficit, tant nominal que structurel. Parce que j’étais précisément convaincu que la dette publique est l’ennemi de l’économie et l’ennemi du peuple ».
Di Maio souligne dans son commentaire : » On oublie de dire qu’avec Moscovici aux commandes de l’économie française leur dette publique est passée de 89,5% du PIB à 94,8% du PIB, pour atteindre 97% du PIB actuellement. Il y a quelque chose qui cloche dans son raisonnement lorsqu’il dit que la dette publique est l’ennemie du peuple. L’Italie, avec la Manovra del Popolo, revendique le droit de faire ce que la France et d’autres pays européens ont fait dans le passé. Nous voulons réduire la dette en nous concentrant sur l’investissement, les personnes et les entreprises, et non en réduisant les droits des citoyens comme cela a été imposé à l’Italie dans le passé. Cette manœuvre a été écrite à Rome, pas à Bruxelles », conclut Di Maio.
Traduit avec http://www.DeepL.com/Translator
L’analyse du très europhile, mais très documenté..J.QUATREMER :
… »Giuseppe Conte avait accepté de continuer à réduire le déficit
L’affaire est d’autant plus embarrassante pour le gouvernement de Giuseppe Conte qu’il a donné son accord lors du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement du 28 juin et lors du Conseil des ministres des Finances du 13 juillet à la recommandation fixant les objectifs budgétaires dont il s’affranchit trois mois plus tard, ce que la Commission se fait un plaisir de rappeler. Autrement dit, il ne peut même pas faire valoir que la nouvelle majorité n’a pas à respecter les engagements pris par une autre majorité, ce qui effectivement viderait de son sens l’exercice de la démocratie.
L’avis de l’exécutif européen prend soin de répondre aux arguments des démagogues au pouvoir à Rome qui estiment que l’Italie est victime de l’austéritaire Europe. Non, la dette n’est pas un point de détail, puisque les intérêts payés chaque année représentent environ 65,5 milliards d’euros (soit 3,8 % du PIB), « ce qui est à peu près équivalent aux ressources publiques consacrées à l’enseignement ». Surtout, Rome ne peut pas se plaindre de l’absence de solidarité financière: la Commission rappelle qu’elle a été la principale bénéficiaire de l’interprétation flexible du Pacte entre 2015 et 2018, ce qui lui a permis de dégager 30 milliards d’euros (1,8 % du PIB) de dépenses supplémentaires. Mieux, « l’Italie est le deuxième bénéficiaire » du plan Juncker : « les financements accordés au titre du Fonds européen pour les investissements stratégiques devraient générer, à partir d’octobre 2018 plus de 50 milliards d’euros d’investissements supplémentaires ». Et, entre 2014 et 2020, elle a reçu près de 45 milliards d’euros d’aides régionales européennes.
Un budget qui manque sa cible, relancer la croissance
A ces sommes, il faut ajouter les 15 % de dettes italiennes rachetées par la Banque centrale européenne dans le cadre de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing en anglais) lancé en 2015, soit 356,4 milliards d’euros qui resteront pour longtemps dans les coffres de Francfort. Des rachats de dette qui ont contribué à maintenir bas les taux d’intérêt italiens, générant ainsi des marges de manœuvre supplémentaires, du moins jusqu’à ce que l’actuelle majorité s’installe au pouvoir en juin 2018. Car, désormais, l’Italie doit payer un spread (l’écart de taux entre le bund allemand à 10 ans et les bons italiens de même durée) de 300 points de base, soit 3 % de plus que l’Allemagne. « …
dans : http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2018/10/26/litalie-fait-sa-forte-dette/
avec une incise particulièrement intéressante :
… » Il est plus que douteux que Rome change son fusil d’épaule. Il sait que le temps joue pour lui : les sanctions financières prendront du temps (une amende de 0,1 % du PIB), la Commission présidée par Jean-Claude Juncker est en fin de vie, les élections européennes auront lieu en mai 2019. Bruxelles compte beaucoup sur la pression des marchés pour la ramener à la raison. Mais là aussi, l’Italie joue sur du velours. Sa dette non résidente n’est que de 32,3 % et est plutôt sur du long terme, ce qui la met largement à l’abri des marchés. Pour rappel, les pays de la zone euro qui ont frôlé la faillite en 2010-2013 avaient une dette non résidente de près de 80 %. « Pas de panique, l’Italie n’est pas la prochaine Grèce », a d’ailleurs estimé hier Klaus Regling, le patron du Mécanisme européen de stabilité (MES) chargé de venir au secours des pays de la zone euro en difficulté: « l’Italie n’a pas perdu sa compétitivité, le déficit budgétaire n’est pas aussi élevé et une grande partie de la dette est financée en interne ».