Afin de calmer le jeu sur le marché de la dette, Pierre Moscovici a lancé depuis Rome « je n’imagine pas l’euro sans l’Italie et l’Italie sans l’euro ». Il a aussi insisté qu’il allait falloir « gérer tout cela avec sang-froid, en restant ensemble ». On attend qu’il explicite ce qu’il entendait dernièrement en préconisant que les règles « doivent être flexibles et s’adapter aux situations ».
La séquence des évènements se précise, Rome ayant jusqu’à lundi pour répondre aux demandes de clarification de Bruxelles, qui aura ensuite deux semaine pour rejeter ou non le budget italien, ce qui serait une grande première et témoignerait d’un incontestable manque de sang-froid. Dans ce dernier cas, Rome refusant de réviser son budget dans les trois semaines, la Commission pourrait ouvrir une procédure pour « déficit excessif », et décider ultérieurement d’une sanction financière.
Devant quels scénarios se trouve-t-on, ni l’une ni l’autre des parties ne pouvant se renier, la commission devant les gouvernements qui pourraient la critiquer – comme Jean-Claude Juncker l’a fait valoir – et le gouvernement italien de coalition devant ses électeurs ? Privilégier la sanction des marchés est passablement aventureux, car une relance de la crise européenne pourrait toujours survenir par contagion, quoiqu’il en est dit.
L’hypothèse la plus plausible est qu’il va falloir s’installer tant bien que mal dans cette situation, chacun restant sur ses positions, le gouvernement italien considérant qu’une hausse de son taux obligataire est un moindre mal, à condition qu’il ne dérape pas trop. On assisterait à une sorte de remake du « ni guerre ni paix » historique, cet état instable qui pourrait durer. Cette fois-ci il serait tenable, par opposition à la sortie de l’Italie de l’euro qui ne le serait pas.
En attendant, grillant la politesse à Standard & Poor’s qui enchaînera lundi en donnant le sien, Moody’s a rendu son verdict et abaissé la note de l’Italie à « Baa3 », le niveau le plus bas de la catégorie « investissement ». Mais l’agence de notation n’est pas sortie du cadre défini par le commissaire européen, ayant assorti sa note d’une perspective stable, sans prévoir de dégradation dans les six mois à venir.
Autre son de cloche allant dans le même sens, l’association italienne des banques (Abi) a appelé à une « discussion constructive » entre autorités italiennes et européennes. Chargées de 400 milliards d’euros de la dette italienne sur 2.300 milliards au total, elles enregistrent des pertes lorsque son taux augmente, comme si elles n’avaient pas déjà suffisamment à faire avec la masse des créances douteuses et l’assainissement de leurs bilans. À la Bourse de Milan, elles ont dévissé et perdu en moyenne 35% de leur valeur depuis mai dernier, BMPS enregistrant une chute extrême de 50%. Si les yeux sont rivés sur le « spread » qui mesure le différentiel de taux de la dette allemande et italienne, les banques italiennes ont leur mot à dire, car leur chute ferait de sérieux dégâts.
La situation reste sous contrôle et pourrait donc le rester. L’argumentaire de la Commission n’en mérite pas moins d’être relevé. À l’écouter, la déviation par rapport aux recommandations européennes est « sans précédent dans l’histoire du pacte de stabilité et de croissance », selon Pierre Moscovici, tandis que la Commission pointe un risque de « non-conformité grave » avec les règles européennes.
L’affaire est donc d’importance, mais de quoi s’agit-il en vérité ? Le gouvernement italien revient sur des prévisions du précédent, ce qui est tout de même son droit le plus strict ! C’est sur « l’effort structurel » que le bât blesse. La Commission attendait une baisse du « déficit structurel » de 0,6 point, or il monte de 0,8 point dans le projet de budget. Voilà donc trouvée cette « déviation sans précédent », cette « non-conformité grave » qui justifie le branle-bas de combat bruxellois.
Mais ce n’est pas tout. Le déficit structurel s’appuie sur un indicateur très contesté, son calcul reposant sur le niveau de croissance potentielle. Et ce dernier correspond au niveau maximal de production qu’un pays peut obtenir sans accélération de l’inflation. Avec une telle définition, allez le calculer autrement qu’au doigt mouillé ! Autant admettre, plutôt que d’entrer dans cette polémique sans arbitre, que le champ de l’économie est déserté au profit de celui de la politique, rappelant les circonstances burlesques, et n’ayant rien de rationnel, qui ont présidé au ratio de 3% du PIB pour le déficit. Tout cet appareillage est un habillage.
Il faut aller voir ailleurs. Le gouvernement italien est coupable de rechercher cette croissance potentielle non pas avec les recettes habituelles – de la réforme du marché du travail et du régime des retraites – mais en adoptant une politique d’investissement, d’accroissement du revenu et donc de la consommation. Voilà qui est inacceptable.
Sur la brèche, parlant à tout propos, Pierre Moscovici a pourtant reconnu que « l’Italie a le droit de choisir ses priorités budgétaires »… Que reste-t-il alors à opposer à son gouvernement ? Que le déficit structurel ne baisse pas comme prévu ? Mais que va-t-on reprocher au gouvernement français, dont le déficit structurel ne baissera que de 0,3 point en 2019, au lieu des 0,6 point requis ?