En la personne de Jair Bolsonaro, l’extrême-droite brésilienne semble être en mesure de tirer les marrons du feu et d’accéder à la présidence au second tour. Au premier, cet apologiste de la dictature militaire a recueilli le vote de 50 millions de voix représentant 46% des suffrages. Changement de décor.
Singulière compétition, il était avec son principal compétiteur Fernando Haddad, auquel Lula avait passé le flambeau depuis sa prison, rejeté par une large part de la population. Mais les chiffres montrent qu’il est aussi porté par un fort vent ascendant. L’extrême-droite est un recours que le « lullisme » n’est plus. À qui la faute ? Pour le comprendre, il faut remonter à la victoire originelle de Lula, et se rappeler l’émotion avec laquelle son prédécesseur Fernando Henrique Cardoso lui avait transmis le pouvoir.
Afin de construire la majorité parlementaire qui lui était indispensable et lui faisait défaut, Lula choisit de composer avec les pratiques des dirigeants corrompus des partis politiques, puis le Parti des Travailleurs (PT) endossa ses nouveaux habits. Un comble après avoir placé la lutte contre la corruption au centre de ses campagnes électorales et en avoir fait l’instrument de sa victoire.
Telle est l’explication qui est généralement donnée de la faillite de cette formidable aventure qui a soulevé un gigantesque espoir aujourd’hui déçu. Elle n’est pas suffisante. Dans un second domaine, Lula et son équipe ont été timorés. À leur arrivée, ils ont repris à leur compte et amplifié les programmes d’aide sociale de Fernando Enrique Cardoso, et de sa femme qui a joué un grand rôle, sortant de la faim et du dénuement des millions de familles. Ils se sont également appuyés sur les forces syndicales pour améliorer la vie des travailleurs du secteur formel de l’économie. Mais cela n’a pas été jusqu’à l’adoption d’un nouveau modèle de développement prenant en compte la coexistence et l’imbrication de ce secteur avec l’immense secteur informel, celui des travailleurs vivant hors de la sphère réglementaire de l’État. Ils sont restés dans leur monde formel sans oser en sortir.
S’il est à cet égard un symbole de l’impasse dans laquelle Lula et son parti se sont fourvoyés, c’est celui de la mise à l’écart du plus grand économiste du développement et membre du PT, Celso Furtado. Celui-ci avait une vision globale de la société brésilienne et voulait faire des marginaux les moteurs de la transformation de la société. Une vision hors de portée pour un dirigeant formé à l’école du syndicalisme classique.
De compromission en compromission, le PT est apparu comme le parti de la corruption, Dilma Rousseff a accédé au pouvoir sous les auspices de Lula en héritant d’un passé ingérable et ce qu’elle a tenté contre la corruption n’a rien pu y faire. Le PT a également payé pour le déchainement d’une violence dont rien ne semble pouvoir arrêter l’essor. Ni les forces de police qui y contribuent largement, ni même l’armée auquel il est fait appel en désespoir de cause n’ont pu la contrôler. Un véritable double pouvoir s’est instauré au profit des organisations criminelles. Dans ces conditions, l’insécurité et la peur montantes appelaient à des solutions désespérées.
Jair Bolsonaro, s’il est élu, ne va pas avoir à composer avec les partis politiques comme Lula s’y était résigné. De la même manière que le salazarisme portugais reposait sur le triptyque des trois « F » – Fado, Fatima, Football – le régime autoritaire du nouveau patron va pourvoir s’appuyer sur les trois « B » de Bœuf, Bible et Balle. Ceux-ci dénomment les lobbies ultra-puissants de l’agroalimentaire, de l’Église évangélique et des partisans de la répression qui font les beaux jours de la politique brésilienne, avec lesquels il va traiter directement. Pour composer son gouvernement, lui-même ex-capitaine, il aura si besoin le choix parmi les militaires et n’aura pas à s’embarrasser de longues tractations avec les partis.
La personnalité de son présumé futur ministre de l’économie et des finances est en soi tout un programme. Paulo Guedes est un Chicago boy pur jus, professeur au Chili sous Augusto Pinochet, partisan de la réduction drastique du rôle de l’État, des privatisations à outrances et de la baisse des impôts. Le Brésil, qui sort péniblement de deux années de récession, et où la dette publique explose, subira une médication redoutable s’il vient aux commandes.
Les brésiliens ont voté pour le changement. Cela rappelle l’arrivée de la Ligue en Italie. La gauche paie partout de ne pas avoir su renouveler son programme et su répondre à l’évolution des attentes. L’état de la social-démocratie européenne, à l’exception notable des travaillistes britanniques, en est la plus parfaite illustration.
Analyse que je partage totalement.
Merci pour ce très intéressant éclairage, il me manquait justement des clés de compréhension de la situation actuelle, notamment en ce qui concerne la haine massive qui déferle sur le PT.
C’est la tendance un peu partout sur la planète, les déshérités pèsent lourd et coûtent cher; la première urgence consiste à les escarter et si besoin les sacrifier pour qu’il ne pèsent pas sur la cordée. On imagine que du soft au hard, suivant l’etat de délitement des sociétés, des procédés très appropriés se dessinent sans vergogne.
Vers un populisme néolibéral ?
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/111018/vers-un-populisme-neoliberal