Pour un peu, on oublierait le poids de la dette privée, à force de se focaliser sur la dette publique, cette source de tous les malheurs. Son accroissement contribue pourtant fortement à celui de l’endettement global, et l’on commence à se rendre compte de ses dangers.
La précédente crise a eu pour origine une dette immobilière américaine incontestablement privée. Demain, l’endettement des entreprises non-financières ainsi que le rôle d’intermédiaire accentué joué par les «non-banques » du shadow banking pourraient-elles prendre le relais ? Telle est l’alerte que vient de lancer la CNUCED, la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.
Le choc des subprimes a démontré il y a dix ans qu’un secteur financier mal régulé nourrit le crédit de façon inapproprié, rend les économies plus fragiles et l’éclatement des bulles plus ravageur. Le shadow banking ayant échappé à la régulation, rien n’a depuis changé, le risque s’étant simplement déplacé au sein de territoires méconnus.
La dette mondiale ne cesse de progresser. L’Institute of international finance, le lobby des grandes banques, l’estime à 237 milliers de milliards de dollars en 2017, un montant jamais atteint. Et si le FMI ne l’évalue qu’à 164 mille milliards de dollars, cette colossale différence met en évidence que le système financier est un trou noir, rendant son estimation très aléatoire pour ne pas parler de sa mesure. De quoi inciter à la modestie, une qualité rarement partagée chez les économistes en cour.
Les évaluations qui sont fournies ne font généralement pas la peu démonstrative distinction entre dette publique et privée, l’expérience ayant montré que les vases étaient forts communicants. Les grandes organisations internationales ont pris le pli de cette présentation, dont Mc Kinsey qui fait autorité dans ce domaine.
Adair Turner, membre de l’Institute for new economic thinking de George Soros, ex-directeur du Financial services authority (FSA), n’y va pas comme d’habitude par quatre chemins. Il déplore « l’absence de réflexion sur les causes profondes de la crise de 2008, qui sont aussi celles de l’instabilité même du capitalisme économique : l’addiction à la dette du secteur privé ». Et il relève que « pendant des décennies, le crédit au secteur privé a grossi plus vite que le PIB » pour constater « tant que nous n’aurons pas trouvé une façon de bâtir une croissance qui ne soit plus fondée sur l’endettement et les effets de levier, nous retomberont dans les mêmes crises. » Plus pertinent, il n’y a pas.
L’économiste hétérodoxe place la croissance des inégalités comme l’une des causes de cette instabilité. « Plus la proportion de ménages peu aisés augmente, plus la tentation du recours au crédit pour soutenir la consommation et la croissance est forte. Il s’agit d’un cercle vicieux : l’épargne des ménages les plus riches sert à alimenter les prêts aux plus pauvres, souvent peu solvables. »
Les grandes entreprises font en s’endettant des affaires florissantes grâce à la politique de bas taux d’intérêt des banques centrales. Aux États-Unis, la dette des entreprises non financières a augmenté de 7.800 milliards de dollars entre 2010 et mi-2017. Elles ont également utilisé 3.000 milliards de dollars pour racheter leurs actions au bénéfice de leurs actionnaires, contribuant à l’embellie de Wall Street. Enfin, afin d’améliorer leurs résultats, les entreprises ont diminué les prêts de la liquidité disponible aux fonds monétaires afin de spéculer en achetant des titres de créance sur le marché des produits structurés. Le descriptif de cette intense activité ne serait pas complet s’il n’était précisé que ces transactions passent par des paradis fiscaux, la forme la plus aboutie de l’optimisation fiscale.
Selon un autre angle, la Banque des règlements internationaux (BRI) s’interroge sur les risques liés à la prolifération des sociétés zombies dans les pays développés, maintenues en vie grâce à un endettement accru. Les banques préférant pour leur part faire rouler leurs prêts aux entreprises devenues non viables plutôt que de constater des pertes.
Les taux bas ont réduit la pression exercée sur les établissements financiers pour nettoyer leur bilan, encouragés à pérenniser leurs prêts aux zombies. Avec pour effet de peser sur les performances économiques en accaparant une partie des investissements. Une telle prolifération s’avérera dangereuse pour la stabilité financière en cas de remontée brutale et durable des taux d’intérêt.
Ce qui frappe le plus dans votre billet c’est le trou noir que vous soulignez en matière de dette privée.
Évaluée à 164 000 milliards de dollars pour le FMI cette dette monte jusqu’à 237 000 milliards de dollars pour le très bien informé IIF.
Ce dernier est à même d’établir des statistiques sur l’ensemble du secteur financier ce qui n’est pas le cas de la Banque des Règlements Internationaux qui ne peut fonder les siennes que d’après les éléments fournis par les banques déclarantes.
Quand au Fonds monétaire international, il ne fait que compiler des sources extérieures.
Peut-être ai-je tort mais je vois dans cette différence astronomique l’impact des sociétés financières en matière d’endettement privé. Et plus particulièrement, en leur sein, le poids des sociétés financières non bancaires qui résident dans des havres et autres paradis tant fiscaux que réglementaires.
On a vu comment Lehman Brothers avait explosée en vol en regard de gigantesques encours auprès de ces sociétés financières non bancaires.
On a vu aussi comment ces encours sont devenus des montagnes de créances pourries puis ont pu faire des navettes ultra rapides entre New York et Londres sans que les autorités de contrôle britannique ou américaine ne s’intéressent au problème.
Il y a de quoi s’interroger quand la porosité entre le secteur financier officiel et le shadow banking ne fait que croître et embellir.
À titre d’exemple je m’interroge sur La très rentable HSBC.
La Planète gros sous lui voue une telle confiance que les taux de CDS à 5 ans de ce géant sinobritannique sont les plus bas du marché pour les grands établissements financiers.
Les juteux bénéfices de HSBC sont essentiellement induits par la Chine.
Or, la Chine c’est à la fois le plus effervescent casino de la finance mondiale et sans doute le lieu où les créances douteuses sont les plus importantes de la planète.
Merci encore pour vos billets et leurs qualités.
Il faut avouer que pour le commun des mortels, ces sommes astronomiques ne representent rien. A quoi peut bien correspondre 237 000 millards de dollars de dettes ? On pourrait essayer de les rapprocher â d’autres montants aux ordres de grandeur comparables : le budget des ‘Etats, le PIB mondial, etc…En fait, quelles en sont les contreparties ? Si l’économie mondiale était une sorte de Monopoly géant (ce qui semble en partie le cas), cela reviendrait à considérer que « la banque » prête de telles sommes « aux joueurs », pour qu’ils puissent continuer à jouer….inimaginable….
Ça correspond à de futures ‘dettes’ publiques…! 🙂