La crise politique qui traverse l’Europe a pour l’instant abouti à l’instauration de gouvernements minoritaires en Espagne et au Portugal, une formule généralement instable sauf lorsque des circonstances particulières lui permettent de durer, ce qui est le cas.
Cette formule n’est-elle pas promise à un brillant avenir, au vu des difficultés que rencontrent les coalitions italienne et allemande ? Dans ce dernier cas, Wolfgang Schäuble prédit depuis le perchoir du Bundestag où il est installé qu’elle pourrait être retenue comme solution en Allemagne.
En Italie, le Mouvement des 5 étoiles et la Ligue s’empoignent en coulisses à propos du projet de budget 2019, et il est exigé du Premier ministre qu’il dégage le financement du revenu de citoyenneté promis par le premier et de la baisse des impôts annoncée par l’autre. Les deux vice-présidents du conseil, Luigi Di Maio et Matteo Salvini, assurent qu’ils vont respecter les normes de déficit budgétaire, mais ils ne savent pas comment faire, voulant tout et son contraire. Giovanni Tria, le ministre de l’économie, s’en porte également garant, mais il est menacé d’être dirigé vers la sortie s’il ne résout pas l’équation. Les réunions se suivent sans résultat et le temps passe, l’obligation du 27 septembre prochain de présenter à Bruxelles le projet de budget 2019 se rapproche dangereusement.
Lors d’une dernière réunion déclarée « positive », le ministre de l’économie a recherché des marges de manœuvre financières et les représentants des partis de la coalition ont semblé prêts à étaler dans le temps l’application de leurs mesures-phares pour limiter leur coût l’année prochaine. Mais rien n’y fait. La tension monte et le porte-parole de Giuseppe Conte, le président du Conseil des ministres, a menacé de virer « une marée de gens du ministère des finances » s’ils ne trouvent pas dix milliards d’euros. Comment cela va-t-il se terminer ?
Luigi Di Maio, qui cherche à reprendre l’initiative vis-à-vis d’un Matteo Salvini ayant marqué de nombreux points avec sa campagne xénophobe, sans oser prendre ses distances, a engagé une campagne contre les médias italiens accusés de « polluer le débat » et menacé de leur retirer la publicité des sociétés publiques. Un thème qui était cher à Beppe Grillo et visait alors Silvio Berlusconi quand celui-ci était encore au centre du jeu politique. Il tente une nouvelle fois d’y revenir en faisant alliance avec Matteo Salvini pour parrainer à la tête de la RAI – la télévision publique – un journaliste souverainiste venant d’une radio de la Ligue.
Les escarmouches se multiplient entre les deux partenaires de la coalition, la Ligue à l’offensive et le Mouvement des 5 étoiles dépassé par les évènements. Dernier épisode en date, trente militants d’un groupuscule néofasciste ont violemment attaqué une manifestation antiraciste à Bari, au sud de l’Italie et Matteo Salvini a refusé de condamner l’agression, estimant qu’il ne peut pas juger en fonction de témoignages parus dans la presse.
Pris dans ses contradictions et sans homogénéité politique, le Mouvement des 5 étoiles résiste mal aux campagnes menées par une Ligue structurée et pourvue de cadres aguerris. La large diffusion militante d’un film dénonçant la mort en 2009 d’un jeune homme devenu symbole des violences policières prend dans ces conditions tout son relief. Présenté à la Mostra de Venise et diffusé par Netflix, « Sulla mia pelle » fait l’objet de projections militantes dans tout le pays.
En Allemagne, Angela Merkel en est à sa troisième confrontation avec la CSU bavaroise. Cela a commencé lors des épisodes successifs de la formation du gouvernement de coalition actuel, a été suivi par l’offensive de Horst Seehofer, son ministre de l’Intérieur mettant en cause sa politique à l’égard des réfugiés et menaçant de faire tomber le gouvernement, puis s’est poursuivi par la collusion du responsable du service des renseignement intérieur avec l’AfD d’extrême-droite. Le SPD a réclamé sa tête et l’a obtenue tout en acceptant comme compromis négocié avec Horst Seehofer sa promotion en tant que Secrétaire d’État.
Une crise traverse le SPD, dont la présidente Andrea Nahles, après avoir accepté ce limogeage et la promotion qui l’a accompagné, appelle à revenir dessus sous la pression des militants. Si le SPD n’est pas un parti dont les membres ont dans leur culture la révolte contre les dirigeants, l’affaire ne va pas en rester là. La direction n’a pas de stratégie de rechange à la participation à la coalition en dépit de l’écroulement de son score électoral dans le pays. L’AfD serait d’après les sondages passée avec 18% des voix devant un SPD crédité de 17%, déjà en position de principal parti de l’opposition avec ses 92 députés au Bundestag et pourvu à titre et en raison de son comportement d’une grande capacité de nuisance. Les séances de celui-ci ont changé du tout au tout, les débats policés devenant des affrontements. Sous la coupole de verre du Reichstag, ce ne sont plus qu’invectives, insultes ponctuées par des rappels à l’ordre de Wolfgang Schäuble, le président de l’Assemblée.
L’AfD a acquis le poids suffisant pour perturber dans l’avenir toutes les formules de coalition gouvernementale, ce qui permet de comprendre l’initiative de Wolfgang Schäuble en faveur d’un gouvernement minoritaire, ce qui serait une grande première en Allemagne. Dans l’immédiat, Angela Merkel est condamnée à jouer les équilibristes afin de satisfaire à la fois la CSU et le SPD au sein de la coalition. Mais ce ne sont pas seulement les membres du SPD qui sont désillusionnés, c’est désormais le pays tout entier. Une grande page de la vie politique allemande va être tournée.