À ce stade de globalisation de la crise, les modalités du resserrement des politiques monétaires des banques centrales, hésitations comprises, obéissent à des motivations complexes et contradictoires. D’autant qu’il leur est également demandé de préparer l’avenir.
Les gouverneurs de la BCE vont se réunir jeudi, et il n’est pas attendu qu’ils modifient leurs décisions précédentes. La banque centrale arrêtera en décembre prochain d’accroître le volume des obligations qu’elle acquiert sur le marché, mais elle n’envisagera une augmentation de son taux directeur principal que l’été prochain. La prudence domine, d’autant qu’elle devrait remplacer les titres venant à maturité (les tombées), ne diminuant pas la taille au budget, c’est à dire n’entamant pratiquement pas son retrait.
La BCE doit choisir entre les avantages et les inconvénients du retrait ou du maintien de ses décisions, alors que la balance des risques est devenue moins favorable. Dans de nombreux domaines, les incertitudes s’accroissent, rendant les choix difficiles. L’ampleur prise par la guerre commerciale et le retrait massif des capitaux des pays émergents afin de bénéficier de la prochaine hausse du taux de la Federal Réserve sont en tête de ses préoccupations. Elle reste également sur le qui-vive par rapport à l’Italie.
Certes, la BCE met la pédale douce à propos de la Grèce, dont les titres pourraient devenir éligibles à son programme d’achat, dans le cadre d’un assouplissement également pratiqué par la Commission afin qu’elle réussisse la sortie de son plan de sauvetage. C’est le moins qu’elle peut faire après avoir tout simplement balayé les grosses miettes de sa dette sous le tapis ! Bruxelles aborde avec la même précaution son examen du budget 2019 de l’Italie, soucieux de ne pas avoir à le rejeter, entraînant une crise dont elle ne veut pas. Les deux partis italiens au gouvernement se prêtent à ce jeu, quitte à ne mettre en œuvre que progressivement leurs programmes électoraux pour ne pas crever les plafonds. Rendez-vous dans un an ou même avant.
Entre le départ du Royaume-Uni, avec ou sans accord, et la montée des courants nationalistes manipulant une opinion réceptive au discours anti-réfugiés, il y a déjà fort à faire dans la perspective des élections européennes de l’année prochaine et de la nomination des successeurs à la tête de la BCE, de la Commission et du Parlement européen.
La plus importante inconnue est ailleurs. Donald Trump va-t-il survivre longtemps ? Peut-il encore remporter les élections à mi-mandat de novembre prochain ? S’il survivait et perdait les élections, il ferait tout pour conquérir un second mandat, et l’on pressent que l’Union européenne, qui a gagné du temps, en ferait les frais. Ce qui explique l’intérêt d’Angela Merkel pour que son candidat à la présidence de la Commission, dont les négociations commerciales sont de ses prérogatives, soit élu. Donald Trump exacerberait la crise politique américaine et économique mondiale, d’autant qu’il est craint que la croissance américaine actuelle ne soit qu’un feu de paille. Et il ne resterait plus au régime chinois, perturbé dans sa mutation économique, qu’à durcir la répression interne et à accélérer la mise en place de son système de contrôle social.
Les banquiers centraux ont d’autres soucis supplémentaires. Le resserrement monétaire pratiqué par la Fed génère des déplacements d’autant plus importants de capitaux que la masse des actifs financiers a énormément grossi dans la dernière période en raison de leurs injections de liquidité. Ils en craignaient les effets et ont obtenu leur réponse. Mais, poussés par les banques voulant reconstituer leurs marges et les gestionnaires des fonds de pension le rendement de leurs actifs, ils subissent les pressions de ceux qui les incitent à se redonner des armes pour l’avenir en remontant leur taux afin d’être en mesure de les baisser ultérieurement. C’est dire la confiance qui règne dans l’avenir !
S’il est acquis qu’ils ont une nouvelle mission, la stabilisation du système financier, les banquiers centraux n’ont pas de nouveaux moyens pour l’exercer. Quand bien même la compréhension de leur incapacité à peser sur la croissance économique se fait jour et qu’ils ne font que renforcer la mauvaise allocation des capitaux. Que l’inflation qu’ils relancent est celle des actifs financiers. Et qu’ils ont à leur programme l’accroissement de l’endettement, qui au nom du renforcement du système financier – quand il s’agit de la dette publique – ne fait qu’accroître son instabilité, car il devient de moins en moins soutenable.