La fois où le capitalisme s’est encore tiré d’affaire

Il y aura dix ans, le 15 septembre 2008, la banque d’affaires américaine Lehman Brothers faisait faillite. Commettant une magistrale erreur d’appréciation, les plus hauts responsables américains avaient décidé de laisser la banque faire naufrage, n’ayant pas mesuré la portée de leur décision. Peut-on rétroactivement leur reprocher, étant donné la confiance inébranlable qui régnait à propos de la solidité du système financier ? Ils n’ont certes rien vu venir, mais n’était-ce pas le lot commun ?

La crise ne fait plus l’actualité, à croire faussement qu’elle est terminée. Mais il prédomine l’idée qu’elle va immanquablement ressurgir, sans que l’on soit capable de prédire quand et à la faveur de quelles circonstances. Ce n’est pas seulement l’expression de la prudence qui désormais s’impose, mais cela résulte aussi d’une meilleure connaissance du système financier, du mystère qui entoure ses mécanismes et de son opacité. « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, tandis que les autres croient savoir », disait Socrate. En reprenant à son compte une telle leçon, il est en effet difficile d’être pris au dépourvu.

La crise est-elle terminée ou tout simplement souterraine ? Elle n’est plus aigüe, mais n’est-elle pas devenue chronique ? Une fois fait le tour de toutes les mauvaises surprises qui nous attendent – et elles sont nombreuses ! – peut-on partager le sentiment que les dispositions réglementaires résultant des travaux acharnés des régulateurs ne contiendront pas forcément le prochain accès subit de fièvre ? Ou faudra-t-il à nouveau s’en remettre aux banques centrales, cet ultime recours ? Leur philosophie, qui repose sur le renforcement des fonds propres des banques afin d’absorber les pertes, a-t-elle quelque crédibilité quand celles-ci calculent elles-mêmes la hauteur des digues qu’elles doivent édifier ? La hauteur des tsunamis financiers est-elle par ailleurs estimable ? Pour tout dire, le parti-pris qui a consisté à endiguer et non pas à interdire les produits financiers sophistiqués les plus susceptibles de créer et de propager les crises n’est-il pas infiniment regrettable ?

Doit-on finir par croire que, par construction, le système financier ne peut se résoudre à la transparence ? Pour qui veut étudier les mécanismes systémiques et les mécanismes complexes faisant obstacle au calcul du risque en son sein, la plongée est en eau profonde. Inventoriés ou pas, dix ans d’étude de la régulation des banques n’auront en tout cas pas permis de les proscrire. À l’arrivée, la finance de l’ombre, étroitement connectée aux banques régulées, reste un univers opaque aux ressorts méconnus.

Les banques centrales ont déjà connu une véritable mutation. Leur mission était jusqu’alors de combattre l’inflation, qui était considérée comme étant le principal danger. Elles ont dû subitement improviser, se doter de nouveaux outils monétaires et pénétrer à l’occasion dans le territoire inconnu des taux négatifs. Réussissant finalement à stabiliser le système financier, qu’elles ont gardé sous étroite surveillance. Et s’il leur est instamment demandé de revenir sur leur « politique accommodante », c’est afin de disposer à nouveau de moyens lorsque ce sera nécessaire, comme il n’en est pas douté, afin de ne pas être démunies. Au nom de la reconnaissance implicite que le capitalisme financier est désormais assisté, car le marché n’est pas son meilleur régulateur.

Une boîte de Pandore a été ouverte et, l’imagination aidant, les mêmes banques centrales se sont vues proposer de nouvelles missions afin de régler des problèmes ne trouvant pas de solution. Le financement d’une politique d’investissement, ou d’un revenu distribué à toutes et à tous, ou bien encore l’achat d’une dette publique qui ne cesse de croître et que l’on ne sait résorber qu’au prix de coûts sociaux inabordables et politiquement destructifs. Il y a parfois de la magie dans l’air quand on parle de création monétaire !

Les bras en tombent devant la complexité d’un système financier qui ne cesse de croître en parasitant l’activité économique, alors qu’il est censé la financer. Son sauvetage a impliqué d’énormes transferts financiers à la source de l’accroissement de la dette publique. Mais on sait que ça ne pourra pas être réédité. Force est de reconnaître que le capitalisme est cette fois-ci parvenu à se tirer d’affaire sans trop de dommages et sans véritablement s’amender. Que faut-il en tirer comme conclusion pour l’avenir ?

13 réponses sur “La fois où le capitalisme s’est encore tiré d’affaire”

    1. Merci pour cette piqûre de rappel ! (Bon, ce n’est pas excellent pour le moral, mais ça permet de mettre des « mots sur les maux » ).

  1. et à l’époque les billets paraissaient aussi sur le site Contrinfos de Philippe Barbet, disparu depuis. Et vous écoutiez « under the boardwalk » au bord de la plage, chanté par un « homeless », en Californie.

  2. Étonnant billet !
    « Force est de reconnaître que le capitalisme est cette fois-ci parvenu à se tirer d’affaire sans trop de dommages et sans véritablement s’amender ».
    Pas d’accord avec vous, François Leclerc ! Non, nous ne sommes pas condamnées à rouler de Charybde en Scylla et le capitalisme n’a en aucun cas l’astuce d’un Ulysse pour s’en tirer.
    Jean-Claude Trichet à détaillé, dans un interview récent, le 04/08, à Boursorama la crise de 2008, provoquée, on s’en souvient par la faillite de Lehman Brothers : « Ma compréhension est que l’exécutif américain estimait ne pas avoir, à ce moment là, la capacité politique d’intervenir avec de l’argent public ».
    En d’autre termes, ce qui était techniquement possible ne l’était pas politiquement.
    Or, ou en sommes nous aujourd’hui. La capitalisme à replongé dans le Maelström dès qu’il fut acquis qu’il serait conforté dans ses turpitudes. Aujourd’hui, ce sont les derniers tours de pistes avant l’engloutissement.
    Dans le Daily Télégraph du 18/08, Evans Pritchard nous avise que la BCE, sous pression allemande, réduit de moitié ses achats de dette souveraine en Octobre, prélude à la fin du Quantitative Easing.
    De son coté, la coalition italienne au pouvoir a déjà prévenu qu’elle activerait son programme de Minibots soit une monnaie parallèle soustrayant les dépenses de l’État au circuit monétaire de l’Euro. Option limitée mais légale et efficace.
    Il est impossible que la BCE recule, également impossible que le gouvernement italien recule, en proie à la surenchère interne et à l’énorme colère populaire. Il est également impossible que les fonds spéculatifs ne viennent pas renifler l’odeur du sang, faisant exploser le spread.
    Seule solution à l’horizon, la sortie de l’Italie de l’euro , dans l’affolement général, suivi de la faillite des Banques européennes et d’une crise systémique mondiale.
    Voyez vous une autre issue (je parie mes derniers euros contre les vôtres ) ?

    1. Si la Grèce n’est pas (encore) sortie de l’euro, pourquoi l’Italie en sortirait maintenant…?
      Qui sait, c’est finalement le gouvernement allemand qui lâchera du leste, pour ‘gagner du temps’…?

      1. L’Euro c’est le Deutsch Mark et les Allemands ont prouvé à maintes reprises qu’ils ne lâcheront rien sur leur orthodoxie monétaire. C’était même leur principale condition dans les négociations qui aboutirent au Traité de Maastricht.

        Ils préféreront probablement voir l’UE exploser plutôt que de laisser l’Italie détricoter le Pacte (!) de stabilité et de croissance. Pour mieux ensuite se replier sur leur hinterland de l’Europe de l’Est avec les pays vassaux comme la Hollande ou l’Autriche.

      2. Je vous répond : L’Italie et la Grèce, c’est pas pareil ! La Grèce n’a aucune solution hors de l’Europe, elle doit passer sous les fourches caudines, l’Italie est commercialement excédentaire avec un budget hors dette excédentaire également. Son seul problème économique, c’est sa dette, legs du passé qui interdit de s’en sortir. C’est un boulet, la tentation est donc immense de répudier la dette et la seule solution si elle ne veut pas être la seconde Grèce, condamnée à la misère pour l’éternité. Elle va donc le faire, avec ou sans accompagnement. Comme le Royaume désunis, elle n’a pas le choix, coincé entre son peuple et ses engagements imprudents. Sans doute paiera t’elle fort cher son irrédentisme, mais l’autre choix est bien pire. Quand aux allemands, la pression est itou trop forte. Un désengagement , perdant dans tous les cas, est le seul horizon. Seuls restent en discussion la rapidité et les formes qu’ils prendra.

      3. @Roberto, bonobo
        Oui, je comprends, mais au pied de la falaise, les dirigeants allemands lâcheront peut-être du lest, car l’implosion de l’UE serait au final catastrophique également pour eux…
        Pour le moment, les nouveaux dirigeants italiens marquent le terrain, mais pour mieux négocier ou vraiment se désengager ?
        C’est là que le Brexit ou non Brexit est intéressant…

        1. Les prévisions sont difficiles surtout lorsqu’elles concernent l’avenir, mais aux enjeux économiques et politiques et à la trivialité du hasard (et d’un Trump !) qui peut bousculer les plans les mieux étayés, il convient sans doute de rajouter les facteurs psychologiques liés à l’histoire allemande. La crise économique des années 30, son hyperinflation, ses millions de chômeurs et la violence de sa scène politique, marque-t-elle suffisamment la psyché des dirigeants allemands au point de faire encore et toujours de la monnaie, l’alpha et l’oméga de leurs préoccupations ?

          La tentation du repli nationaliste n’est pas seulement celle des classes défavorisées, dans le cas allemand elle peut paradoxalement concerner aussi une partie des « élites ».

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