Un bras de fer oppose le ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini aux autorités européennes. Depuis plus d’une semaine, il garde en otages cent dix-sept réfugiés sur le pont du garde-côtes italien Diciotti, où ils sont exposés à tous les temps. Finalement, le navire est à quai après avoir obtenu l’autorisation de pénétrer dans le port sicilien de Catane, mais pas de débarquer les réfugiés, à l’exception de 27 mineurs non accompagnés à la suite de l’intervention d’un procureur italien qui est monté à bord.
L’histoire a commencée au large de Malte lorsque, les autorités maltaises restant les bras croisés, le Diciotti décidait sans en référer à sa hiérarchie de prendre à son bord les réfugiés et de faire route vers l’Italie. Et l’on a assisté à ce spectacle inusité d’un ministre interdisant à un garde-côte de son pays de revenir à bon port. Sans que beaucoup d’informations filtrent à ce sujet, il est désormais établi qu’un incontestable malaise règne au sein du corps italien des gardes-côtes, qui est empêché de mener à bien sa mission de sauvetage en mer.
Le dirigeant de la Ligue a été jusqu’à menacer de refouler en Libye les réfugiés si un accord de partage entre pays européens n’intervenait pas, contrevenant avec le droit maritime international qui le proscrit totalement. Suscitant, pour clore le sujet, le refus des autorités libyennes officielles de les accueillir au prétexte des 700.000 réfugiés qui se trouvent déjà sur leur sol selon elles.
Trois parquets siciliens ont ouvert une enquête au cours des trois derniers jours, notamment pour association de malfaiteurs visant le trafic d’êtres humains ainsi que pour séquestration de personnes, en raison du maintien à bord illicite des réfugiés. Mais Matteo Salvini campe sur son personnage : « je ne donne aucune autorisation au débarquement. Si le président de la République veut le faire, qu’il le fasse; si le président du Conseil veut le faire, qu’il le fasse. Mais ils le feront sans l’accord du vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur ». À l’appui de son intransigeance et en préalable à toute modification de son attitude, il demande des explications aux pays qui avaient promis d’accueillir les 450 réfugiés débarqués en juillet en Italie sans selon lui passer à exécution.
Luigi Di Maio, le leader du Mouvement des cinq étoiles, est finalement intervenu sous la forme d’un ultimatum adressé à l’Union européenne. Faute de solution trouvée à la répartition des réfugiés du Diciotti, il menace de ne plus verser la contribution italienne de 20 milliards d’euros au budget européen. Contributeur net, l’Italie n’en reçoit que 14 milliards d’euros. C’est une manière d’aborder la suite des négociations avec la Commission à propos du budget italien 2019 et du déficit que son projet présentera.
Déjà, l’effondrement du pont de Gênes du 14 août et la nécessité d’un programme d’investissement dans les infrastructures routières a été l’occasion d’aborder le sujet, le gouvernement italien cherchant à ce que son financement ne soit pas pris en compte dans le calcul du déficit.
Comment celui-ci va-t-il tenter, ou non, de concilier les promesses électorales des deux partis de la coalition avec les contraintes européennes dans ce domaine ? Les respecter mènerait à l’explosion du déficit. « Après les élections de 2019, on en aura fini avec l’époque de l’austérité, et on entamera une période de budgets d’expansion » a promis Luigi Di Maio, feignant d’être convaincu que les décisions difficiles promises ne seront plus d’actualité en raison de leurs résultats.
Les autorités bruxelloises verraient bien que cette conviction se traduise dans l’immédiat par une approche budgétaire précautionneuse, et que le gouvernement italien se contente de quelques concessions de Bruxelles dans l’immédiat. Mais ce scénario n’est pas bouclé.
Si une attaque spéculative contre la dette italienne devait intervenir, l’incertitude régnante l’alimentant, quelle attitude la BCE adopterait-elle ? Se poser la question, c’est se demander comment l’euro – la raison d’être de la BCE – pourrait survivre à un départ de l’Italie sans que d’autres pays soient à leur tour visés. L’heure est plutôt aux rafistolages à court terme, mais, selon le Corriere della Sera, l’Italie doit placer 400 milliards d’euros de titres en 2019 sur les marchés, ce qui donne la dimension du problème.
L’Italie n’est pas la Grèce. Ni à cause de la dimension de son sauvetage, ni en raison des conséquences de sa sortie de l’euro.