À force de dégainer à tout va, Donald Trump a fini par faire un carton là où on ne l’attendait pas. Tout est parti du maintien dans une prison turque d’un évangéliste américain accusé comme à l’accoutumée de « terrorisme », puis cela a dégénéré. On ne met pas impunément face à face deux personnages du calibre du président américain et de Recep Tayyip Erdogan…
Résultat, faisant suite à l’annonce par Donald Trump d’une double taxation de l’acier et de l’aluminium turc, suivant la formule consacrée, la livre turque dont la valeur fondait depuis le début d’année a chuté de 18% par rapport au dollar vendredi dernier, et les taux obligataires à 10 ans grimpaient au-delà de 20%.
De manière dérisoire, l’autocrate d’Ankara a exhorté ses concitoyens à changer leurs devises étrangères pour soutenir leur monnaie nationale, ne pouvant dans l’immédiat se résoudre à aucune des trois solutions qui s’offrent à lui : puiser dans les réserves, établir un contrôle des changes afin de limiter la fuite des capitaux ou faire appel au FMI. Car il est pour lui hors de question que la Banque centrale Turque augmente ses taux, ayant un autre plan en tête après avoir pris en main le pilotage de l’économie turque et nommé son gendre à la tête du ministère des Finances. Les autocrates contrôlent tout, c’est leur force et leur faiblesse à la fois.
Dans l’immédiat, le président turc s’est adressé à ses concitoyens pour dénoncer la « guerre économique » menée par un mystérieux « lobby des taux d’intérêts », sans l’identifier. « S’ils ont des dollars, nous, nous avons notre peuple, nous avons le droit et nous avons Allah ! » a-t-il proclamé. Redescendu sur terre, il a plus classiquement menacé d’un renversement d’alliance, placé au centre d’un jeu diplomatique où la Russie attend son heure… Puis il a menacé de geler les avoirs américains en Turquie, ce qui s’est révélé une menace de trop aux yeux des investisseurs.
Après avoir été tenue pour quantité négligeable, la crise monétaire qui secoue la Turquie est désormais surveillée de près. En premier lieu en raison de l’exposition de plusieurs grandes banques européennes, dont BBVA, BNP Paribas et Unicredit, que la Banque des règlements internationaux estime globalement à 140 milliards de dollars. En second, à cause de la dépendance du pays dont près de la moitié des emprunts a été effectuée dans une devise étrangère, leur coût augmentant quand la livre turque baisse, aggravant à force le risque de défaut.
Mais cela ne s’arrête pas là. Dans ce monde financier opaque et systémique, où une nouvelle crise peut toujours se frayer un chemin imprévu, on ne peut jurer de rien. Dans un tout autre contexte, celle de la livre turque fait suite à celle du peso argentin, suite à une brutale fuite de capitaux. En quelques jours et en pure perte, le gouvernement a brûlé ses réserves et monté ses taux au-delà de 40%, sans pouvoir empêcher le peso de perdre plus de 10 % de sa valeur par rapport au dollar.
Les deux crises monétaires peuvent-elles être rapprochées ? Oui, si l’on prend en considération le mouvement irrésistible et massif de rapatriement des capitaux qui est en cours. Les pays émergents où ils faisaient leur beurre sont délaissés, et ils viennent rechercher aux États-Unis des placements plus intéressants en investissant dans la dette américaine dont la demande augmente fortement et le taux dépasse 3%.
D’autres monnaies pourraient d’ailleurs bientôt connaître le même sort. Selon l’enquête au second semestre de l’Emerging Markets Traders Association (EMTA) portant sur les Credit default swaps (CDS), ces assurances devenus indicateurs de la spéculation sur les monnaies, le Brésil aurait de sérieux soucis à se faire, ainsi que le Mexique, l’Afrique du Sud et la Russie. La hausse des taux de la Fed en est à l’origine, avec comme première conséquence constatée l’assèchement de la liquidité en dollars sur les marchés émergents.
La Fed ayant déversé dans le système financier 4.000 milliards de dollars afin de le stabiliser, les mouvements de capitaux qui secouaient auparavant le marché monétaire ont encore gagné en ampleur, la banque centrale américaine a choisi de précautionneusement remonter son taux directeur principal et a laissé pour après l’assèchement des liquidités. La première étape n’est pas sans effets, comme on le voit, qu’en sera-t-il de la seconde ?
Si les compteurs de la Fed ne peuvent pas être remis à zéro, pour ne pas prendre de risques inconsidérés, les masses financières grandissantes auxquelles rien ne peut être opposé vont continuer leurs déplacements dévastateurs pour l’économie. Le système monétaire pourra-t-il y résister ? Le dollar américain restera-t-il longtemps sa clé de voute alors que son émetteur s’enfonce dans l’endettement ? Le système financier ayant éludé toute réponse aux questions essentielles que sa crise a soulevé, la réforme du système monétaire international, qui réclame une version plus stable et régulée, va-t-elle également passer à la trappe et pour combien de temps ?
Il est certain qu’il y a de plus en plus de craquements un peu partout.
Quelles alternatives au président turque ?
1) Se rapprocher de Moscou et quitter l’OTAN,
2) entrouvrir la porte des réfugiés et peser sur l’Europe afin que…
Les 2, et plus, car il a beaucoup d’atouts… et quelques points faibles.
https://www.politico.eu/article/recep-tayyip-erdogan-donald-trump-sanctions-turkey-perfect-storm/
http://www.kedistan.net/2018/08/08/milliards-livre-debandade-mort-hausse/
Une confirmation, peut-être pas indépendante:
https://anfenglishmobile.com/news/as-lira-freefalls-cooperation-with-erdogan-comes-out-28887
« Le dollar américain restera-t-il longtemps sa clé de voute (au système monétaire) alors que son émetteur s’enfonce dans l’endettement ? »
Cela fait plus de 40 ans que l’on entend cette question, que l’on a envie de répondre non et que les faits viennent nous donner tort. Sans doute parce qu’il s’agit là davantage de rapports de force militaires et politiques que de bon sens économique.
Je propose donc que soit enseignée dans toutes les écoles la loi monétaire suivante (je ne m’oppose pas à ce qu’on la baptise « loi du Renard ») :
« La monnaie du plus fort est toujours la meilleure. » Et ce quelque soit le traitement qu’il lui inflige, du mauvais aloi à la planche a billet.
«La monnaie du plus fort est toujours la meilleure.»
Si le plus fort devient moins fort (par rapport à l’ensemble des autres) sa monnaie devient moins bonne (par rapport à l’ensemble des autres) ou pas?
Si ça n’est pas le cas le nombre de trillons de dollars qui se baladent d’un coin à l’autre de la planète au grès des humeurs de ceux qui les détiennent va continue à croître. Pour que ça se poursuive il faudra que les catastrophes qu’ils occasionnent continuent à être vues comme le résultat de la mauvaise gestion économique et financière des pays écrasés sous le poids de leurs dettes.
@ GL
C’est à peu près ça, oui. Si un jour où les US n’avaient plus les moyens de terroriser la planète, chacun serait libre de constater que leur monnaie ne vaut plus un clou. D’où l’argent fou qu’ils injectent dans leurs budget militaire et du renseignement, argent fou qui est par ailleurs une des causes de leur endettement et donc de la monnaiedsingisation du dollar. On tourne en rond.