« Nous devons faire preuve de modestie : nous sommes incapables de prévoir ce qui se passera d’ici cinq ou dix ans en matière de climat, finance, évolution des technologies ». C’est un économiste ayant pignon sur rue, Patrick Artus de Natixis, qui a osé cet aveu lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence.
L’heure est aux phrases douloureuses, à lire une autre sommité, qui dans son dernier ouvrage cherche « une pensée stratégique commune » face aux chocs existentiels que connaissent les pays occidentaux, et qui ne voit pour qu’elle apparaisse que l’avènement d’une « crise classificatrice et salvatrice ». Il s’agit cette fois d’Hubert Védrine qui, si on saisit bien le titre de son livre – « Comptes à rebours » – considère qu’il n’y a pas d’autres raisons d’espérer que d’enfanter dans la douleur.
Les défis sont de tous ordres et se présentent simultanément. Devant l’immensité des remises en question, nos édiles abandonnent leur mission de vigiles clairvoyants et pour peu s’en remettraient à la grâce de Dieu.
Questions crises, nous sommes en effet servis. Devant ajouter la circonstance aggravante qu’aucune de celles que nous avons connues n’ont été résolues et qu’elles s’additionnent. Majeure, la crise financière est chronique, et il est difficile de trouver un économiste qui ne s’attend pas à ce qu’elle rejaillisse, sans être en mesure de prédire où, quand et pourquoi. Nous n’avons eu droit qu’à des avant-goûts des grandes crises de migration qui se préparent, et l’on peut s’attendre au pire dans l’avenir, selon les effets de la crise climatique. Tandis que s’annoncent ceux des progrès technologiques sur le monde du travail.
Deux grandes dynamiques sont par contre clairement engagées et déjà perceptibles, celle de l’accroissement de l’endettement public et privé et celle de la distribution déséquilibrée de la richesse. Comment nos sociétés, au sein desquelles un relatif bien être était parvenu à s’instituer, vont-elles pouvoir y résister ? Comment la fuite en avant qui prévaut va-t-elle pouvoir se terminer si ce n’est dans la douleur, très inégalement partagée soyons-en sûrs ? Quel type de société devra alors être imposé ?
L’avenir ? Un grand blanc
Emmanuel Todd parvient, par d’autres chemins, aux mêmes conclusions que vous dans une récente interview chez Médiapart.
https://www.youtube.com/watch?v=Z10gaVcaDuY
Pour meubler un peu ce grand blanc, je proposerais l’exercice suivant. Nous sommes en 2025 et la guerre mondiale a éclaté. Les destructions seront effroyables et anéantiront les efforts de maîtrise du climat. Comment en sommes-nous arrivés là ?
1/ Qui est impliqué dans cette guerre ? Quel est l’enjeu ? Quels sont les pays tombés les premiers dans le bellicisme (aucun ne résiste longtemps, dit l’expérience de 1914). Quels sont les ingrédients qui ont précédé immédiatement cette guerre ?
2/De quoi fut fait la drôle de guerre ? Pourquoi ces préparatifs dérisoires et cette incrédulité des opinions et dirigeants ?
3/ Quels sont les ingrédients préalables qui amènent à prendre la pente inéluctable ?
Je le propose car dans toute perspective (dont celles de P. Jorion), la guerre est absente. Je ressens une conduite d’évitement, un déni silencieux. Même dans les scénarios d’effondrement, elle n’est pas un couronnement, à peine une péripétie.Or la guerre modifie beaucoup le scénario et réduit la chance d’échappatoire pour quelques-uns.
Or la persistance des guerres et des sources de conflit dans les pays du « grenier à pétrole » mondial depuis 15 ans, la montée des populismes et de l’abandon de la démocratie, les signes de frustration des jeunes hommes de la classe des travailleurs (qu’ils deviennent fondamentalistes, incels ou autres violents) sont pour moi des signes d’une montée de la violence belliciste.
La guerre dans sa version de haute intensité, celle où un pays jette tout son potentiel humain et industriel dans la bataille, est comme la révolution : il faut être jeune pour la faire !
Avec un âge médian de plus de 40 ans en France, ou de près de 46 ans en Allemagne, c’est là peut-être l’origine du déni silencieux dont vous parlez: la conscience d’appartenir à des sociétés vieillissantes qui rendrait la guerre proprement impensable pour les populations d’Europe de l’Ouest. Une faille psychologique rendue encore plus béante par la possession de l’arme nucléaire en France, et la croyance souvent partagée qu’elle rendrait de facto la guerre impossible.
Une double illusion aggravée par le simple fait qu’une écrasante majorité n’a connu que la paix (les personnes ayant connu la 2nde GM sont maintenant toutes très âgés et les guerres de décolonisation ne sont pas perçues comme de « vraies » guerres), rendant le scénario de la guerre sur le territoire national aussi crédible que celui d’une invasion martienne.
Patrick Artus manque de modestie (ironie). Il aurait dû dire à 5 ans, et encore…. .Il n’empêche que beaucoup de ces « édiles », au mieux ne font rien, au plus « jouent le jeux » et accompagnent, voire favorisent, voire encore, essayent de profiter pour eux-mêmes de ce mouvement qui mène de plus en plus sûrement vers la catastrophe…..