Profitant de la réunion du mini-sommet informel, Matteo Salvini accentue sa pression. Le Lifeline, un navire affrété par une ONG allemande, connait actuellement le même sort que l’Aquarius et attend en pleine mer l’ouverture d’un port avec 239 réfugiés à son bord. Au ministre italien qui parlait il y a quelques jours de cargaison de « chair humaine », l’ONG a répliqué « nous n’avons pas de viande à bord, seulement des humains », l’invitant à venir voir par lui-même en concluant « vous êtes le bienvenu ! ».
Parallèlement, l’ONG espagnole Proactiva s’indigne du refus de son intervention par le centre italien de coordination des secours, au prétexte que les garde-côtes libyens s’en chargent. Ce qui implique que les réfugiés seront ramenés manu militari en Libye où ils ont fui les maltraitances et dont les ports ne peuvent être considérés pour cette raison comme « sûrs » au regard du droit maritime. Le navire de l’ONG fait néanmoins route vers la zone de secours, fidèle à l’obligation qui lui est faite d’intervenir selon ce même droit.
Matteo Salvini a dévoilé ses intentions en sommant les ONG de rester dorénavant à l’écart des sauvetages pour laisser les garde-côtes libyens opérer et ramener en Libye les réfugiés. Ada Colau, la maire de Barcelone, a proposé comme « havre sûr » sa ville où pourraient être accueilli le millier de réfugiés actuellement à la dérive sur sept embarcations et a appelé le gouvernement espagnol à « sauver des vies » et non à laisser ces réfugiés à la merci des viols, de la torture et de l’esclavage en Libye comme le gouvernement italien les y condamne.
Emmanuel Macron n’aurait pas pu choisir de meilleur moment pour délivrer ce matin, à l’entrée du mini-sommet, un message qui a tout du monument d’hypocrisie. « N’oublions jamais nos valeurs, je serai intraitable sur ce point » a-t-il déclaré, se drapant dedans dans le cadre de ses polémiques avec le gouvernement italien mais restant les bras croisés.
Que sort-il de la réunion ? Des dispositifs flous dont aucun ne pourra être adopté lors du sommet des 28 et 29 juin. Soutenu par les nouvelles autorités espagnoles, le gouvernement français est venu défendre la création de « centres fermés » dans les pays où seront débarqués les réfugiés. La France ne serait bien entendu pas concernée, mais l’Espagne si, ainsi que l’Italie qui s’y refuse. Les réfugiés y attendraient l’examen de leur demande d’asile et seraient soit dirigés vers un pays européen d’accueil sans pouvoir le choisir, soit reconduits dans leur pays d’origine. Ce plan est en fait une resucée des « hot spots » qui n’ont pas fonctionné. Il suppose l’adoption d’un mécanisme de répartition des bénéficiaires de l’asile, que les pays membres du groupe de Višegrad rejettent. Faudra-t-il leur infliger des sanctions financières dans ce cas, comme envisagé ? Autre dispositif alternatif, des « centres de débarquement » pourraient être créés hors des frontières européennes – on parle de l’Albanie et de la Tunisie – mais il pose des problèmes juridiques.
L’objectif de ce mini-sommet informel était de sauver Angela Merkel et son gouvernement de coalition, et d’éviter l’éclatement de Schengen à la suite d’une cascade de fermetures des frontières nationales. Mais rien n’est fait. Emmanuel Macron recherche une coopération entre plusieurs États, qu’il ne nomme pas. Et Angela Merkel, qui a pris les devants en annonçant que le sommet ne déboucherait pas sur un accord, continue de préconiser des accords bilatéraux ou multilatéraux. Tout bute toutefois sur le gouvernement italien, qui est aux premières loges.
Le Premier ministre italien Giuseppe Conte est venu avec une proposition destinée à alléger le fardeau des pays en première ligne. Il propose des « centres de protection » dans plus de pays européens, de « dépasser » le règlement de Dublin et de pénaliser financièrement les pays qui refusent d’accueillir des réfugiés bénéficiaires du droit d’asile. On croit comprendre que, pays méditerranéen, la France serait toute désignée pour accueillir l’un de ces centres.
Les autorités européennes sont rivées à des objectifs immédiats, mais la suite s’annonce. Le droit d’asile dont ils veulent mettre à plat les modalités est de conception et pratique ancienne, et le contexte a depuis bien changé. Les fortes motivations qui poussent des familles entières à fuir leur pays et contribuent au dépeuplement de régions entières n’ont plus rien à voir avec les « migrants économiques », notion que l’on oppose par commodité à ceux qui peuvent prétendre bénéficier de l’asile. Elles envisagent toutefois d’en adopter une version restrictive afin de réduire le nombre des bénéficiaires, ne préparant pas à ce qui s’annonce.
La grande vague de réfugiés à laquelle on vient d’assister n’est qu’un début. Un exode se prépare au départ de terres africaines où il ne va plus être possible de vivre, soit parce qu’elles vont être submergées par la montée des eaux, soit parce que l’élévation de la température va ruiner les cultures et les élevages et que l’on ne pourra plus y vivre. Nous ne connaissons qu’un avant-goût du bouclage des frontières sud de l’Europe.