Où va l’Europe ? les qualificatifs nous manquent

L’ère des consensus européens est terminée, celle des divergences qui s’accentuent a débuté. Deux grands sujets font désormais l’objet de profondes dissensions, l’attitude envers les réfugiés tient la vedette et une discussion sur la stratégie de désendettement pointe timidement. Circonstance aggravante, ils sont liés entre eux. Tout juste colmatée sans être réglée, un rebondissement sous la forme de la crise grecque était craint, mais c’est à un délitement de l’Europe auquel on assiste, l’Italie menant la danse.

En cela fidèle aux traditions de l’extrême-droite, Matteo Salvini joue les provocateurs. Il choisit Der Spiegel pour prédire que « c’est dans l’année à venir que se décidera si l’Europe unifiée va ou non continuer à exister ». Il maintient la fermeture des ports italiens aux navires des ONG et menace de mettre deux d’entre eux sous séquestre afin de les obliger à cesser leurs opérations. Le Lifeline, géré par une ONG allemande, est en pleine mer en attente d’un ravitaillement et d’un port qui l’accepte avec 230 réfugiés à son bord.

L’Italie – ajoute le ministre Italien de l’Intérieur – « ne peut plus prendre en charge le moindre migrant supplémentaire ». Cela ne laisse aucune place aux négociations directes que souhaite engager Angela Merkel et permet de le soupçonner de vouloir précipiter de nouvelles élections allemandes enregistrant une forte poussée de l’AfD afin de fragiliser la mise en œuvre d’une nouvelle coalition.

Entre ceux qui veulent un système de répartition européen et ceux qui le rejettent, quel accord sera-t-il possible d’établir lors du sommet du 28 juin préparé ce dimanche par une large réunion informelle d’où les membres du Groupe de Višegrad (*) seront absents ? Angela Merkel a déjà annoncé qu’aucun accord impliquant une répartition des réfugiés, comme la Commission le propose, ne sera trouvé lors du sommet. Le renforcement du contrôle des frontières externes de l’Union afin de les fermer aux réfugiés est la seule décision qui pourra faire l’unanimité. La création de centres de tri dans des pays périphériques prendra du temps et laissera en suspens le partage des réfugiés qui obtiendront au final un droit d’asile recalibré. Dans l’immédiat, la liste des pays qui pourraient unilatéralement fermer leurs frontières s’allonge : après l’Allemagne et l’Autriche, la Bulgarie a annoncé son intention de faire de même.

Les hostilités italiennes ne se limitent pas à ce domaine. Les déclarations de bonne intention à propos du respect des normes budgétaires pleuvent, mais deux membres de La Ligue hostiles à ces contraintes ont été nommés à la tête d’importantes commissions parlementaires, la commission des finances au Sénat et celle du budget à la Chambre des députés. «  L’objectif de l’équilibre budgétaire a détruit l’économie italienne » a déclaré le premier. Voilà de quoi en faire autant des paroles rassurantes du Premier ministre…

Ce n’est pas tout. Une douzaine de pays européens emmenés par les Pays-Bas autour du noyau des anciens alliés de l’Allemagne émettent des doutes à propos des timides décisions franco-allemandes de création d’un budget de la zone euro, craignant que ce ne soit la porte ouverte à des dérives inacceptables. Et, sacrilège, ils en viennent à envisager une décote sur le stock de dette existant !

À contre-courant, Emmanuel Macron prétend que « l’Europe des résultats existe quand la détermination est là », un coup de menton qui s’appuie sur la Grèce mais manque de crédibilité. Car la soi-disant soutenabilité de la dette du pays repose sur des prévisions économiques à un demi-siècle, qui plus est totalement irréalistes ! Il va avoir besoin de cette détermination si l’on enregistre la défense prudente adoptée par le gouvernement allemand et le refus des autorités bavaroises de consacrer un seul euro à ce nouveau budget. Dans son principe, la mesure qui devra être adoptée par les 27 membres de l’Union pour entrer en vigueur en 2021, se télescope avec l’adoption du prochain budget pluri-annuel 2021-2027 qui augurait déjà de grandes tensions. Or, sans attendre, le gouvernement polonais a fait savoir que la création d’un tel budget de la zone euro n’était pas acceptable et pourrait signifier la fin de l’Union européenne devant les difficultés grandissantes à se partager le gâteau. La question n’est plus taboue, même si elle est soulevée à titre de repoussoir.

Nos édiles ont eux-mêmes lancé la machine infernale qu’ils ne peuvent plus arrêter. De surcroît, ils doivent faire face aux menaces de Donald Trump de surtaxer de 20% la production automobile européenne, ce qui pénaliserait plus particulièrement les exportations allemandes. Tout fout le camp et il n’est pas question d’un véritable sursaut. C’est pourtant la BCE qui en donne à son tour le signal, avec quelque retard il est vrai, en réclamant des politiques « inclusives ». Dans un document commandé il y a deux ans à un groupe de travail interne, il est écrit que « Des politiques structurelles bien conçues pourraient apporter des avantages substantiels aux citoyens de la zone euro via une croissance plus forte et plus inclusive de l’emploi et des revenus ». Mais il faut croire que les deux ans qu’a duré l’étude n’ont pas permis d’identifier ces politiques « bien conçues », dont la mise au point est laissée au bon vouloir des gouvernements.

On tourne en rond, Mario Draghi avait déjà souligné en octobre dernier qu’ « il y a une perception croissante que la croissance dans le passé n’a pas été suffisamment inclusive et n’a pas toujours été associée à l’élévation du niveau de vie de tous. Cela a alimenté la croyance que certains ont été laissés pour compte par la propagation des forces du marché ». On y est presque, encore un petit effort !

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(*) la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque.

9 réponses sur “Où va l’Europe ? les qualificatifs nous manquent”

  1. A mon avis, l’absence inquiétante de croissance tient principalement à deux facteurs concomitants.
    Le premier trouve son origine dans l’économie d’endettement : il faut que toujours plus de monnaie irrigue la sphère de l’activité de production et toujours plus de monnaie pour compenser les remboursements de la dette (privée et publique). C’est pourquoi, je propose de la monnaie dite permanente (sans intérêt, ni échéance) émise par la Banque centrale DIRECTEMENT à disposition de l’Etat après approbation par l’Assemblée Nationale et dénonciation des accords de Maastricht.
    Le second trouve son origine dans l’épargne bancaire qui ne circule pas : les banques NE PRETENT PAS l’argent de leurs clients (Bulletin de la Banque d’Angleterre du 1er trimestre 2014) :
    Dès lors, on est condamné à faire de la cavalerie monétaire. Contraint et forcé, c’est ce que fait l’Etat.

  2. « Il y a une perception croissante que la croissance dans le passé n’a pas été suffisamment inclusive et n’a pas toujours été associée à l’élévation du niveau de vie de tous. Cela a alimenté la croyance que certains ont été laissés pour compte par la propagation des forces du marché ».
    Que c’est beau !
    Traduction : « Les mecs, on s’en est mis un peu trop dans les poches, faut lâcher du mou, sinon ça va nous péter à la gueule ! »
    Seulement, c’était en octobre qu’il a dit ça et, depuis, rien. Ils ont identifié le problème mais sont incapable de le résoudre. Ce serait aller contre leur nature même. Alors ils vont contempler l’effondrement de ce qu’ils avaient bâti, espérant bien sur tirer quelques bénéfices de la débacle…

  3. La novelangue du FMI : « inclusif », ça en dit long. Quand on ne veut pas dénoncer tout simplement le fait d’une concentration de la richesse et d’une inégalité croissante insoutenable. Alors, entre gens de bonne compagnie, on se dit : soyez un peu plus inclusif, que diable ! Ah, madame Lagarde, revenez sur terre, faîtes comme Churchill un jour (à ce qu’on dit), et prenez le métro par exemple, mais évitez de porter des boucles d’oreille en or, ça pourrait ne pas aller avec le décor…..

  4. Pourquoi le dire de manière compliquée lorsque l’on peut dire plus simplement ?
    C’est la guerre des classes et comme l’a soulèvé Warren Buffet, sa classe l’a gagnée.
    Ce à quoi je rajouterai « dans un premier temps ».
    Car si c’est au prix d’un effondrement généralisé…

    1. Peut-être que la question « où va l’Europe? » nous empêche trop souvent d’y réfléchir. A moins que ce soit « où va Macron? », « où va Merkel? », « où va Theresa May? », « où vont Salvini et Di Maio? », etc, etc, etc.

      Je me demande souvent ce qu’ont pensé les révolutionnaires de 1789 quand il ont constaté que l’Europe n’était pas du tout disposée à les laisser régler à leur manière ce qui n’allait plus en France…

  5. Dans la question où va l’Europe? il faut inclure les pays de l’ex bloc soviétique, pays que ceux plus à l’ouest traitent le plus souvent avec pas mal de mépris.

    Le premier article de la série Vents d’est sur l’Union – Après le rideau de fer, la fracture démocratique publié par Le Monde semble aborder leurs situations politiques sans l’hostilité et la suffisance habituelle…

    https://lemonde.fr/international/article/2018/06/25/apres-le-rideau-de-fer-la-fracture-democratique_5320641_3210.html

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