Comme s’il tâtait l’eau avant d’y pénétrer, Pedro Sànchez fait son entrée au gouvernement sur la pointe des pieds. Il ne lui est venu à la bouche que le mot de stabilité, et l’on comprend que c’est l’aventure dans laquelle il vient de s’engager qui à cet égard le préoccupe à juste titre le plus, susceptible à priori d’en manquer, de stabilité. Il vise en plus délicat la reproduction du modèle portugais d’un gouvernement socialiste minoritaire appuyé au Parlement par ses alliés, mais le contexte s’y prête nettement moins : Ciudadanos veille.
Si un mot caractérise bien la situation espagnole, c’est celui de fragilité. La coalition que le PSOE a réuni a reposé avant tout sur une même volonté d’en finir avec Mariano Rajoy, mais ensuite ? Ce n’est pas tout de s’affirmer résolument européen, comment le concrétiser dans l’avenir ? Or, la nouvelle équipe est appelée à respecter les engagements en matière de déficit public, qui doit être ramené à 2,2% du PIB cette année.
Sortie de la crise fin 2014, l’Espagne a enchaîné quatre ans de croissance supérieure à la moyenne de la zone euro, mais son taux de chômage est de 16,7% et n’est dépassé que par celui de la Grèce. Et, selon Eurostat, elle détient le record de contrats temporaires de l’Union européenne, avec 26,8% des emplois. Beaucoup doit être rattrapé après une crise sociale sévère qui n’est pas résorbée.
« L’Espagne croît de 3% par an mais ne répartit pas la richesse », convient Pedro Sànchez, qui promet de lutter pour l’égalité et contre la pauvreté infantile, mais en prenant quelles mesures et en les finançant comment ?
Pour le reste, tout est à inventer. Avec une question majeure dont la réponse est laissée en blanc : comment faire progresser la discussion sur la Constitution espagnole et instaurer la coexistence entre ses régions-nations ? En Espagne comme en Italie, tout est une question de rythme. Mais si personne ne cherche à l’accélérer, son murissement n’est pas contrôlable.
Dans l’immédiat, et dans la perspective du sommet de fin du mois, les autorités européennes ont d’autres soucis en tête que l’Espagne. Elles ne parviennent pas depuis trois ans à dégager une position commune à propos du sort réservés aux réfugiés, comme l’a encore montré une réunion des ministres de l’intérieur qui se tenait hier. Et le problème ne sera pas réglé une fois le droit d’asile revu et homogénéisé afin de limiter le nombre de ceux qui pourront s’en prévaloir, comme les Français le proposent.
En demandant une délocalisation obligatoire des demandeurs d’asile, les nouveaux dirigeants italiens parlent d’expérience. Ils ont manifesté leur opposition à tout système qui maintiendrait comme base la règle de l’enregistrement des réfugiés dans leur pays de premier accueil, qui dans les faits risquerait d’être toujours obligé à les accueillir définitivement.
La complexité de la proposition de la présidence bulgare ne donne à cet égard aucune garantie, et les Autrichiens, qui vont prendre le relais des Bulgares à la tête de l’Union européenne, au 1er juillet prochain, sont opposés à tout système reposant sur des quotas, leur donnant également raison. L’Europe s’est découvert une dimension xénophobe affirmée et les gouvernements n’y sont en général pas pour rien.
Quelles que soient leurs intentions, les nouveaux dirigeants italiens font surgir la responsabilité de ceux qui ont traîné les pieds pour ne pas appliquer les quotas de répartition des réfugiés, comme la France (qui a depuis refusé l’ouverture de ses ports aux navires secourant les réfugiés, il y aura bientôt un an). Ce qui bien évidemment n’excuse en rien la campagne xénophobe du gouvernement italien qui réclame le renvoi de son sol de 500.000 réfugiés. Rencontrant un sérieux écho dans la population, elle reste cependant sans portée pratique.
L’Europe représentait à la fois des valeurs et un avenir prospère. Qu’en ont-ils fait, ces dirigeants qui prétendent en être les dépositaires ?