À la dernière minute précédant l’expiration de la période d’exemption de la taxation de l’acier et de l’aluminium, pour bien marquer le coup, la Maison Blanche a octroyé un délai supplémentaire d’un mois à l’Union européenne, au Mexique et au Canada avant sa mise en vigueur unilatérale.
Loin d’être une bonne nouvelle, cela va accroître les incertitudes dans le contexte de baisse de la croissance européenne et de maintien du chômage annoncé par Eurostat. Depuis le début de l’affrontement, les autorités européennes se demandent ce que Donald Trump cherche réellement au total à obtenir, elles ne le savent toujours pas et commencent à diverger entre elles.
Le gouvernement allemand cherche à protéger son industrie automobile, les Français leur agriculture, qui est déjà menacée par la réduction des crédits communautaire affectés à la politique agricole commune (PAC) dans le cadre de la négociation du projet de budget de la Commission. Le premier est favorable à la renégociation des accords douaniers entre les États-Unis et l’Europe et les seconds plus que réservés à cet égard. Le détricotage de la politique commerciale européenne est en jeu, la négociation pouvant facilement déborder du cadre des biens industriels pour porter aussi sur les produits agricoles.
Le président américain a pour objectif déclaré de réduire le déficit commercial avec l’Europe de 151 milliards de dollars sur des échanges globaux de 700 milliards d’euros. Mais il est aussi suspecté de vouloir faire éclater le cadre de l’OMC, en affichant à son égard la plus grande désinvolture quand il prétend défendre une sécurité nationale qui n’a pas grand-chose à voir avec ses exigences, afin de renouer au bout du compte avec l’unilatéralisme.
Les autorités européennes réclament l’exemption préalable de toute taxation de l’acier et de l’aluminium – définitive pour la Commission et les Français, durable pour les Allemands – et l’ouverture de négociations commerciales d’ensemble « au bénéfice de tous », au prétexte que les Américains violent la réglementation de l’OMC. Elles envisagent de porter plainte comme les autorités chinoises. Mais cette procédure met des années pour aboutir. Leur plus grande crainte est d’être embarquées dans une logique de quotas à la dynamique très préjudiciable.
L’industrie automobile européenne est particulièrement visée, dont l’avenir est à tous égards préoccupant. Elle est en pleine mutation, non seulement en raison de la crise du diesel et de l’avènement de la voiture électrique et des véhicules sans pilote. Mais l’Europe se trouve la plus mal placée dans la compétition qui l’oppose dans ce domaine avec les États-Unis et la Chine.
Cette dernière, devenue le premier marché automobile mondial, apparait comme la mieux placée pour développer la voiture de demain, tant en terme de progrès dans l’Intelligence artificielle grâce à ses gigantesques bases de données, que des facultés d’expérimentation des véhicules autonomes qui lui sont accordées. Dans bien des domaines, le retard technologique de la Chine appartient au passé. La compétition pour devenir le leader mondial dans le traitement des données l’oppose aux États-Unis, et l’Europe en est exclue.
Certes, la Chine est encore très dépendante de ses achats de semi-conducteurs, important encore 80% des puces dont elle a besoin. Mais elle met les bouchées doubles en investissant des dizaines de milliards de dollars pour devenir autosuffisante dans le cadre de son « plan 2025 » de création d’un appareil de recherche et de production. Et le jeu de Donald Trump est de freiner autant que possible ces colossaux efforts afin de protéger Intel, Qualcomm ou Micron Technology qui dominent le marché mondial.
Sans doute optimiste, Baidu table sur la mise en circulation de voitures autonomes d’ici trois à cinq ans, un délai que le ministre chinois de l’Industrie rallonge à huit ou dix ans. Tencent et Alibaba, les autres mastodontes de l’Internet rivaux de la Silicon Valley, ne sont pas en reste. L’avenir, dit-on, est à l’interconnexion entre les voitures intelligentes, et la Chine s’y prépare avec la mise en service de la technologie 5G de télécommunication prévue pour 2025, très en avance sur l’Europe.
Donald Trump a envoyé la grosse artillerie en délégation à Pékin, comme s’il voulait profiter de ce mois de répit sur les autres fronts pour conclure avec les dirigeants chinois. Rien de moins que Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor, accompagné du secrétaire au Commerce Wilbur Ross, du représentant au Commerce (USTR) Robert Lighthizer et du conseiller économique en chef de la Maison Blanche Larry Kudlow. Manifestement, l’intention est que les dirigeants chinois ne leur fassent pas l’affront de les renvoyer les mains vides. Mais avec les dirigeants chinois, il a affaire à forte partie.