Après la pluie vient le beau temps ! Donald Trump a dimanche dernier promis dans un tweet « un superbe avenir pour les deux pays », la Chine et le sien, avec à l’appui un épilogue heureux de la guerre qu’il a entamé : « la Chine va retirer ses barrières douanières parce que c’est ce qu’il faut faire. Les taxes vont devenir réciproques et un accord sera trouvé sur la propriété intellectuelle ».
Les mauvais esprits ne pourront s’empêcher de penser que le président américain a pris la mesure des réserves et protestations que suscite sa politique d’affrontement dans les milieux économiques. Et qu’il cherche dans l’immédiat à contenir cette opposition montante. La dernière en date de ces manifestations est parvenue de l’Association du secteur informatique et communications, où sont représentés de grands groupes technologiques, comme Amazon, Facebook, Google ou Netflix. Ed Black, qui est à sa tête, s’alarme sur le thème que les guerres commerciales « ne sont pas contrôlables, ni prévisibles et qu’il y a toujours des dommages collatéraux ».
À l’heure de la mondialisation, les chaînes d’approvisionnement de la production ont des effets imprévus si l’on n’y prend garde. Circonstance aggravante, ce secteur d’activité louche sur le gigantesque marché des données chinois, dont l’accès est stratégique. Les 1,4 milliards habitants de la Chine ne peuvent être négligés lorsque l’on a des prétentions en matière d’intelligence artificielle. Quitte à accepter un encadrement de ses activités par les autorités chinoises, ce ne serait pas le premier.
Les entreprises du numérique n’ont pas le choix et doivent accepter de se soumettre aux contraintes imposées par le gouvernement chinois qui surveille étroitement pour son propre compte les contenus diffusés sur l’internet, à moins de renoncer à cet énorme marché.
Donald Trump l’a proclamé haut et fort, il veut rééquilibrer les relations commerciales. Les États-Unis importent pour 500 milliards de bien chinois annuellement, tandis que la Chine n’achète que 130 milliards de marchandises américaines. Son intention est d’obtenir une réduction de 100 milliards de dollars du déficit, afin que le commerce entre les deux pays soit « libre et équitable » comme l’a déclaré Steve Mnuchin, le secrétaire au Trésor.
Aveuglé par sa vision sommaire, le président américain dénonce les pratiques abusives des chinois – que leur adhésion à l’OMC en 2001 n’ont pas freiné – sans prendre en compte la puissante logique de la mondialisation et de la division du travail qui en a découlé. Il est à la recherche de corrections qui remettent en cause les effets néfastes pour l’économie américaine de cette mondialisation, n’y trouvant comme remède que le protectionnisme. Ce qui explique les inquiétudes européennes sur ses projets concernant l’OMC, puisqu’il avance à jeu masqué. Une négociation multilatérale n’étant de toute évidence pas ce qu’il recherche, il ne lui resterait plus alors qu’à passer outre et ne plus appliquer la réglementation de l’OMC.
On n’en est pas là, et il prend encore garde à formellement respecter la réglementation, quitte à ce que ce soit tiré par les cheveux. Sur ce terrain, les grandes manœuvres ont commencé. Paradoxalement, ce sont les autorités chinoises qui se présentent comme les défenseurs de l’OMC, proposant une alliance sur ce thème aux Européens… Le président Xi Jinping va prononcer demain mardi un discours et se revendiquer de la liberté des échanges commerciaux devant un parterre de dignitaires, de capitaines d’industrie et de financiers au Forum de Bo’ao pour l’Asie, l’équivalent du Forum de Davos. On s’attend à ce qu’il réaffirme son attachement à l’ouverture du marché chinois, notamment en baissant les barrières douanières, et à la poursuite des réformes en vue de développer celui-ci, afin que la croissance devienne moins dépendante des exportations. L’exercice va toutefois être délicat, car il n’est pas dans les intentions du président chinois d’apparaître comme étant sous la pression des américains.
Pour ceux-ci, la cause est entendue, leur liste est prête. Des mesures d’ouverture du marché chinois, l’abandon du système de la coentreprise, la délocalisation d’une partie de la production chinoise dans d’autres pays asiatiques, couplés avec des volumes d’achat supérieurs de soja ainsi que la préférence accordée à Boeing permettraient le rééquilibrage qu’ils attendent.
Le président américain ne cherche pas à refonder les relations commerciales internationales, mais à imposer par des accords bilatéraux négociés par la force, de nouveaux usages conformes à ses exigences. Dans ce contexte, que vont bien pouvoir obtenir Emmanuel Macron et Angela Merkel lors de leurs visites successives ? Le front uni européen va-t-il résister lorsque Donald Trump se penchera sur le sort qu’il veut réserver à l’Europe ?
Il serait logique que la refonte des règles de la mondialisation – dont les effets négatifs commencent à être reconnus du bout des lèvres – aille de pair avec la réorganisation du système monétaire international. Mais ce serait à total contretemps de l’affirmation du renforcement de la puissance américaine par Donald Trump. La guerre froide a en son temps opposé les États-Unis et l’URSS sur le plan militaire, les nouveaux rapports de force s’établissent en premier lieu sur le plan économique, avec en toile de fond une compétition perdue d’avance par les États-Unis, celle du statut de première puissance économique mondiale. La fin de la prééminence du dollar en découlera inéluctablement.