La reconnaissance faciale n’a pas de bornes

Comment résister ? Comment ne pas annoncer la mise en place progressive mais déjà avancée d’une société orwellienne ? Les épisodes l’illustrant sans équivoque se succèdent et convergent, que ce soit la surveillance mondiale des communications de la NSA ou tout dernièrement l’utilisation des données personnelles de Facebook à des fins de manipulation politique… Or les faits sont là : les scandales éclatent sans que rien ne change ! Facebook est rivé à son modèle économique de vente des données personnelles, comment pourrait-il en changer sans se mettre en cause ?

Nouvelle étape, la reconnaissance faciale est en plein essor. Son laboratoire à grande échelle se trouve en Chine, où elle est utilisée pour des applications policières, mais pas uniquement. 170 millions de caméras de vidéo-surveillance sont déjà en service, et il est prévu que leur parc atteigne 400 millions dans trois ans. Comme il est impossible de surveiller toutes leurs images, il est prévu de les doter de technologies de reconnaissance faciale couplées avec des applications reposant sur de l’intelligence artificielle. C’est déjà, sans nul doute, le plus grand réseau de vidéo-surveillance opérationnel du monde.

Dans des grandes villes comme Shanghai ou Shenzhen, les visages des piétons qui traversent au rouge sont projetés sur les abribus, mentionnant leur adresse personnelle et ne sont supprimés que lorsqu’une amende est payée. Pour autant, l’objectif est autre, consistant à montrer à des fins dissuasives l’étendue et la puissance des moyens de surveillance déployés.

La société chinoise IsVision, à qui un système national de reconnaissance faciale a été commandé, vante son algorithme comme étant capable de comparer 1,4 milliards de personnes en 2 ou 3 secondes… Et ses responsables font valoir que si les photographies des chinois sont répertoriées grâce aux fichiers de la carte d’identité, il n’en est pas de même pour les empreintes digitales. En conséquence, les smartphones dont les policiers sont munis serviront efficacement aux contrôles d’identité. La reconnaissance faciale est d’un usage bien plus immédiat et facile d’emploi que la prise des empreintes digitales ou les scanners de la rétine, avec comme avantage qu’elle peut être utilisée sans consentement.

Des projets avancés d’une telle ampleur donnent d’autres idées. Et si ces systèmes de surveillance étaient utilisés pour prévenir des actes malveillants (à charge pour les autorités de les définir) ? Disposer d’une telle masse de données procure un avantage incomparable afin de progresser dans ce domaine.

Hors le champ policier, les systèmes de reconnaissance faciale pullulent à l’entrée des entreprises et des institutions où ils remplacent les badges d’identification, ainsi que dans les gares et les aéroports. Les distributeurs de billets de la China Construction Bank en sont munis et dans les enseignes de distribution Hema, ils permettent de payer les achats. Alibaba, l’équivalent chinois d’Amazon, a pour slogan « payez avec le sourire ! » afin que ses clients utilisent la reconnaissance faciale dans ses magasins.

Alibaba et ses différentes filiales n’en restent pas là. Ils sont associés à la conception du service Sesame credit, dont l’objet est de quantifier le crédit social des individus, à des fins à la fois commerciales et policières. Le couplage des deux est parfait, il illustre la conception d’une société chinoise garantissant une évolution du niveau de vie en contrepartie du conformisme des comportements, et notamment du respect du Parti-État.

Ces mêmes sourires s’affichent dans le domaine commercial quand les techniques de dynamisation des prix sont évoquées. Il est entendu par là une généralisation du yield management des compagnies d’aviation, qui ont joué les précurseurs. Les prix de certains produits pourraient différer en fonction du client, les étiquettes l’annonçant devenant électroniques…

Nec plus ultra utilisé, mais cette fois-ci en Occident, le facial coding fait son apparition dans les sociétés de production de programmes de télévision. Il est fait appel à la reconnaissance faciale pour détecter les expressions fugaces et inconscientes de téléspectateurs sur lesquels des programmes sont testés en cours de fabrication, afin d’améliorer leur caractère émotionnel. Par essence, le facial coding est une technique de manipulation des esprits qui ouvre de nouveaux horizons à la télévision et aux programmes vidéo…

Plus ils se situent sur le registre émotionnel, plus le score des programmes testés est fort : les émotions permettent la mémorisation et marquent les esprits. Et  il y a un lien entre le score émotionnel d’un programme et l’intérêt accordé à une publicité. La sanction de l’audience présumée d’un programme ainsi testé n’est alors plus nécessaire pour vendre l’espace de ses écrans publicitaires.

La vision orwellienne de la société à venir est alimentée par le déploiement à grande échelle de nouvelles technologies accentuant notre traçabilité, nos données étant utilisées pour les buts les plus divers sans que nous en soyons conscients. La notion de droit à l’oubli sur Internet a fini par émerger, en sera-t-il de même pour un autre droit, celui à l’anonymat ? Il est à craindre que cela ne soit déjà trop tard, devant la puissance des technologies qui le menace et les intérêts qui sont en jeu. Orwell aura été un visionnaire, à moins qu’un vent d’indignation et de révolte suffisamment puissant ne se soulève, aboutissant à la mise en place de garde-fous.

Si ce n’est pas le cas, à ce point surveillés, nos libertés seront contingentées et nous vivrons dans une société de plus en plus normative où les déviances ne seront plus tolérées.

9 réponses sur “La reconnaissance faciale n’a pas de bornes”

  1. « les visages des piétons qui traversent au vert sont projetés sur les abribus, mentionnant leur adresse personnelle et ne sont supprimés que lorsqu’une amende est payée. »

    Allusion aux gardes rouges pour lesquels le rouge ne pouvait signifier de s’arrêter et d’attendre ?
    ___

    Plus sérieusement: je ne crois absolument pas à la possibilité de distinguer un visage parmi plus d’un milliard en quelques secondes sans qu’il soit commis un nombre extraordinairement élevé d’erreurs (c’est un milliard de fois plus difficile que de vérifier qu’une personne donnée est bien celle qu’elle prétend être, ce qui ne marche d’ailleurs pas à tous les coups.)

    Vu la taille des marchés concernés et l’incompétence des décideurs je suis persuadé qu’une bonne partie des annonces en question sont bidon.

    Sauf que les progrès techniques effectués sont aussi énormes qu’indiscutables et que des projets qui semblaient totalement fous se sont avérés réalisables (on peut stocker 30.000.000.000.000 octets, soit trente mille milliards de valeurs numériques, sur une carte SSD dont la plus grande dimension est de 6,5 cm, ce qui est parfaitement inconcevable…)

      1. Oui, bien sur, mais ce ñ’est ni le stockage des infos nécessaires, ni la rapidité de leur consultation qui posent problème.

        Si une méthode censée valider votre identité et seulement la vôtre ñ’y parvient que 999 fois sur 1000, la même méthode ne parviendra pas à vous distinguer de vos sosies parmis 30.000.000 de français (et quelques rares femmes à barbe. 😎)

        Des choses jusqu’ici inimaginables sont possibles, mais en même temps (en plus des bugs comme celui qui fait que Microsoft orne mes n suivis d’apostrophe d’un tilda) pas mal d’arnaques.

  2. Il est difficile de mettre dans le même sac les usages de la surveillance publique (ou policière), qui sert à une répression (qui peut devenir arbitraire, j’en conviens, mais avec des limites, celles d’un rapport de force politique) et les usages de la volonté de puissance privée, qui sert à des manipulations (qui est presque sans limites, sinon financières). On mélange ainsi la Tcheka ou le KGB avec l’Opus Dei ou la Franc-maçonnerie (ou autres appareils de propagande -tels les éditocrates aujourd’hui).

    1. Il sera aussi interdit de changer de dentier, de monture de lunettes, de lentilles, de garder une boule de chewing-gum en bouche, de mettre du sparadrap sur le visage, d’épiler ses sourcils, de se colorer les cheveux, de porter un chapeau…Cela pourrait perturber la reconnaissance faciale.

      1. Oui ! Il faudra songer également à inscrire sur la liste des organisations terroristes, l’ordre des chirurgiens esthétiques et plasticiens ! 😀

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