Doit-on croire que la dynamique de démantèlement de la zone euro est enrayée et que les épisodes grecs, portugais et espagnol sont à ranger au magasin des mauvais souvenirs ? Même si Emmanuel Macron se heurte à porte fermée dans ses tentatives de relance des institutions et de l’économie européenne, la croissance qui s’est malgré tout instaurée pourrait-elle, bon an mal an, permettre progressivement un rétablissement, c’est à dire résorber le chômage, accroître la rémunération du travail et rééquilibrer les budgets gouvernementaux ?
Ce serait bien optimiste. Les dernières statistiques sur le climat des affaires dans la zone euro ont été décevantes et, pour la troisième fois depuis le début de l’année, les bourses mondiales ont connu une période de stress. Les corrections se succèdent et s’additionnent.
Non, le mot de démantèlement n’est pas trop fort, car nous n’avons pas encore tout vu ! Après s’être longuement fait prier, l’Italie entre en scène. Pour commencer, le Mouvement des 5 étoiles (M5S) et la Ligue se sont partagés les présidences de la Chambre des députés et du Sénat, où ils pèsent ensemble 60% des votes. Cet axe préfigure un accord ultérieur pour le choix du président du Conseil (l’équivalent du premier ministre). Le scénario qui circule repose sur un tel accord et la convocation à court terme de nouvelles élections, chacune des deux formations caressant l’espoir d’en sortir vainqueur et d’obtenir le poste.
Quel danger représentent-elles ? Elles ont mis de l’eau dans leur vin à propos de l’euro, et l’hypothèse d’un abandon rapide de la monnaie commune par l’Italie n’est pas la plus probable. Le risque est ailleurs : le M5S et la Ligue ont inscrit à leurs programmes respectifs des dépenses budgétaires incompatibles avec le respect des contraintes de déficit et d’endettement de l’Union. Et l’Italie ne sera pas ce partenaire que pouvait espérer le président français, pour l’appuyer dans sa stratégie de pression. Lui cherche à assouplir le cadre réglementaire, elle le fera éclater, sans même chercher à négocier. Face à un tel fait accompli prévisible, que faire ?
L’Europe est un conglomérat composé de quatre pôles :
– Un cœur composé de l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Autriche, la Suède et la Finlande, qui bénéficie d’un PIB par tête élevé et d’un chômage faible.
– Une périphérie où l’on trouve la France, l’Italie, la Grèce, le Portugal, l’Espagne et Chypre, où l’endettement est plus prononcé et le chômage élevé.
– Les derniers entrants de l’Europe de l’Est, où le PIB par tête est moins élevé, qui dépendent plus des exportations et des investissements étrangers.
– Les États financiers, Pays-Bas, Luxembourg, Irlande et Malte, dont le poids dans le PIB des activités financières est élevé, ainsi que la dette publique, et qui bénéficient d’importants flux d’investissements.
La question qui est posée est simple : comment faire coexister tout ce petit monde ? Tant que l’Europe se construisait pas à pas, même lentement, elle pouvait être imparfaite. Mais elle n’est pas viable si elle tente de se maintenir telle qu’elle est actuellement, sans avancer comme cela se présente.
Les tractations en cours à propos de la taxation des géants du numérique illustrent parfaitement l’impasse actuelle. Sur un sujet qui aurait pu faire l’unanimité – requise pour toute décision dans le domaine fiscal – le gouvernement français qui est à la manœuvre n’a pu que compter ses soutiens lors du sommet de la semaine dernière, en tout une dizaine.
Quant au moteur franco-allemand susceptible malgré tout d’impulser une dynamique, nul n’ose plus en parler. Chacun a sa formule pour résumer ce qui doit être fait, Emmanuel Macron défend « l’articulation entre solidarité et responsabilité » et Angela Merkel la « compétitivité », mais une fois les micros fermés rien ne se passe. À l’arrivée, lors de ce même sommet, le président français a de ses propres dires « identifié les points de blocage et de passage possible » entre les différentes approches du renforcement de la zone euro. C’est maigre !
Un nouveau débat se profile à propos du développement du mécanisme européen de stabilité (MES). Au nom du FMI, Christine Lagarde – qui aurait des vues sur la succession de Jean-Claude Juncker à Bruxelles – a avancé ses pions. Elle propose de le doter financièrement à une hauteur suffisante pour faire face à une nouvelle crise européenne, position que partage Emmanuel Macron. Mais les réactions allemandes n’ont pas été particulièrement chaudes devant l’effort financier que cela représenterait pour leur pays. Les dirigeants allemands ne sortent pas de leur politique financière de rétention.
À propos du retour d’une faible croissance, devant laquelle tout le monde s’émerveille sur le thème qu’une dynamique est engagée, Jens Weidmann de la Bundesbank vient de jeter un froid. La reprise enregistrée en zone euro n’allant pas « durer éternellement », il préconise que la BCE commence à démonter son dispositif de temps de crise, afin de ne pas se trouver à court de munitions quand elle en aura besoin. « Une telle normalisation donnera plus de marge de manœuvre à la politique monétaire pour réagir à tout ralentissement économique futur » a-t-il plaidé. Jens Weidmann plaide pour sa paroisse en demandant à la BCE d’augmenter ses taux et en stoppant son programme d’achats obligataires, certes, mais l’argument qu’il donne, nouveau, mérite d’être retenu.