La page italienne qui est en train de s’écrire rappelle étrangement celle que les Allemands viennent de tourner. Le Parti démocrate connait un sort équivalent au SPD et ne va probablement pas être en mesure de faire une cure d’opposition comme Matteo Renzi le défendait, n’ayant pas les moyens d’affronter de nouvelles élections devant le risque de la poursuite de sa descente aux enfers.
Celui-ci, après avoir annoncé que sa démission de secrétaire général ne serait effective que lorsque tout accord avec le Mouvement des 5 étoiles (M5S) serait exclu, vient de changer de position et s’en va sans attendre, comme s’il estimait ne pas avoir les moyens de l’empêcher. La porte est ouverte pour que s’engagent les négociations auxquelles Luigi Di Maio avait immédiatement appelé, marquant la détermination du M5S d’accéder au pouvoir. Ayant peut-être en tête, dans des circonstances différentes, la manière dont Podemos n’y est pas parvenu.
Après quelques hésitations, Silvio Berlusconi n’avait pas d’autre choix que d’appuyer le leader de la Ligue, Matteo Salvini, qui affirme une même volonté de conquête de la Présidence du Conseil. À chacun son OPA.
Les déconfitures de Matteo Renzi et de Silvio Berlusconi ont anéanti les plans reposant sur leur alliance gouvernementale concoctés à Bruxelles, le M5S ayant entre temps acquis auprès de l’establishment un vernis de respectabilité depuis l’effacement de Beppe Grillo et la venue à sa tête de Luigi Di Maio. Une loi électorale avait été spécialement adoptée afin de barrer la route au mouvement, mais cela a échoué ! Tandis que du point de vue des autorités européennes, les engagements vis à vis de l’euro pris à Bruxelles par Silvio Berlusconi ne valent plus rien, et que le danger représenté par la Ligue s’est renforcé.
Une volonté suffisante va-t-elle s’affirmer au sein du Parti démocrate et déboucher sur un accord ? Si tout se passe bien, il faudra alors gouverner, une fois adopté un programme de gouvernement, à moins que l’on n’en reste aux débauchages. Or le pays est plus que jamais divisé entre Nord et Sud, où le M5S domine totalement et où les attentes sont les plus fortes. Le temps de Forza Italia qui brouillait les cartes est révolu. Le cas de la Sicile est exemplaire, dont c’était le bastion.
De nombreuses raisons expliquent son bond en avant. Le rejet du monde politique d’avant, de la corruption et des combinazioni, mais aussi la pauvreté et la misère du Mezzogiorno que la crise a encore accentuée. Les électeurs du sud ont ainsi vu l’instauration d’un revenu universel de base et d’un impôt à taux unique inscrits dans le programme du M5S comme des bienfaits attendus, allant diminuer leurs impôts et augmenter leurs revenus.
Le M5S est perçu par les électeurs comme exprimant une rupture, comme un parti anti-néolibéral qui leur donne l’occasion de prendre leur revanche au nom de ceux d’en-bas. Ce mouvement, qui n’est pas propre à l’Italie, prétend dépasser le clivage entre la droite et la gauche, il est théorisé dans toute l’Europe. On aurait dit avant qu’il exprime une très faible conscience de classe, L’extrême-gauche aussi doit manger son chapeau ! Le M5S a des positions inacceptables sur les réfugiés et l’impôt à taux unique est une revendication libérale, doit-on remarquer. C’est vrai, ce qui se passe en Italie n’est pas chimiquement pur, c’est d’ailleurs rarement le cas. Mais ranger indistinctement dans la même catégorie de populiste tous les partis et mouvements qui ne sont pas considérés responsables et ne doivent pas à ce titre arriver aux affaires est comme on sait l’application du paravent ni à gauche, ni à droite…
« La porte est ouverte pour que s’engagent les négociations auxquelles Luigi Di Maio avait immédiatement appelé, marquant la détermination du M5S d’accéder au pouvoir. Ayant peut-être en tête, dans des circonstances différentes, la manière dont Podemos n’y est pas parvenu. »
Podemos n’est pas parvenu au pouvoir parce qu’il s’est comporté comme un enfant gaté qui reçoit un nouveau jouet (sa première accession au parlement espagnol).
Podemos n’a pas pensé au mal que ferait aux plus pauvres un nouveau gouvernement dirigé par le Partido Popular.
Il a préféré jouer au plus fin, ce qui a abouti à de nouvelles elections en Espagne avec la suite que l’on connait: le Partido Popular gouverne et les plus défavorisés en patissent.
Même si elle ne se qualifie pas comme analyse, je crois que la formulation en une du quotidien italien Il Tiempo le 5 mars résume bien l’essentiel :
http://img.lemde.fr/2018/03/05/0/0/528/287/534/0/60/0/7e5a831_25157-1gnza7p.w74z.JPG
La suite est assez difficile à discerner, pour dire le moins. Je serais surpris qu’elle soit éclaircie à court terme. Il a fallu des mois aux Allemands, dans une situation qui était pourtant nettement moins difficile à démêler, tous les partis s’entendant au moins pour être pro-européen à l’exception de la seule AfD de toute façon mise à l’écart. On ne peut pas en dire autant du nouveau parlement italien…
Quelle que soit la configuration retenue, il est clair que la zone euro peut s’attendre à de nouveaux tumultes comme exposés dans le papier suivant:
http://www.lacrisedesannees2010.com/2018/03/quel-avenir-pour-l-italie.html
« C’est dans ce contexte qu’il faut évoquer la question de l’Italie au sein de la zone euro. La dette publique se monte à 133,4 points de PIB, une dette elle-même pimentée par des bilans bancaires portant sur au moins 150 milliards de « prêts non performants »[2]. Cette dette est très fluidifiée par le quantitative easing de la BCE, laquelle dépasse régulièrement ses quotas d’achats pour le pays. C’est ainsi que, depuis 2015 jusqu’à fin 2016, la banque centrale a acheté 300 milliards d’euros de dette publique pour un prix de marché bien supérieur à la valeur réelle, soit 3 fois le montant net de dette vendue par le Trésor italien. Soulignons enfin que le solde TARGET de l’Italie (450 milliards d’euro au 31 décembre 2017) est le plus négatif de toute la zone euro, ce qui signifie que, de fait, la Banque centrale italienne est endettée vis-à-vis de la BCE pour un montant colossal. »
Je ne suis pas un spécialiste de la finance mais je suis tenté d’en déduire que tout gouvernement qui inclurait le M5S devrait rapidement renoncer aux promesses faites à ses jeunes électeurs comme à ses électeurs des provinces du sud.
L’absence de majorité sera probablement contournée d’une manière ou d’une autre et un gouvernement mis en place, mais le blocage résultant des contradictions entre la politique décidée à Bruxelles et celle que souhaiteraient les électeurs italiens n’en disparaîtra pas pour autant.
Vous dites: « Les électeurs du sud ont ainsi vu l’instauration d’un revenu universel de base et d’un impôt à taux unique inscrits dans le programme du M5S comme des bienfaits attendus, allant diminuer leurs impôts et augmenter leurs revenus. » Comment les gens les plus mal lotis peuvent-ils voir un bienfait dans un impôt à taux unique, la flat tax de Thatcher? Seuls les riches profiteront d’une telle destruction de la redistribution…
Parce qu’ils n’en perçoivent qu’une seule chose : la baisse qu’ils en attendent de leurs propres impôts !
D’où l’intérêt pour les milliardaires et autre oligarques d’investir dans la presse pour façonner les esprits par petites touches sur le temps long.
Persuader les classes défavorisées – celles qui ont le plus besoin de voir redistribuer les richesses -, que les impôts sont trop élevés, que les investissements publics sont des « dépenses » et les cotisations sociales des « charges », que les pauvres sont des profiteurs et que ceux qui bénéficient (encore) des protections sociales acquises par leurs ainés sont des privilégiés, etc, tout cela fait partie de la petite dose de poison quotidienne injectée par les médias mainstream dans l’opinion publique.
Alors pour une fois, remercions Trump pour sa franchise, lui qui dans son Versailles bling-bling de Mar-a-Lago (on se croirait dans un des palais de Saddam Hussein) a dit devant un parterre de multimilliardaires, que sa « réforme » fiscale allait les rendre encore plus riches.
Si vous rajoutez à cela, l’autre volet du façonnage des esprits, à savoir détourner la juste colère provoquée par le pillage néolibérale des économies, vers de fausses cibles (immigrés, musulmans, pauvres en général), vous créez une dévastation sociale et morale qui est le terreau le plus fertile qui soit pour les extrêmes-droites.
Errare humanum est, perseverare…
Les impôts restent vus comme l’argent que l’État nous prend (et qu’on accepte de lui verser que parce qu’on ne peut pas faire autrement) par presque tous ceux qui en payent.
C’est comme si on en était resté à l’époque où le roi, la noblesse et le clergé exerçaient chacun le racket auquel leur situation de privilégiés leur donnait droit. Ça revient à dire que la démocratie n’est jamais réellement entrée dans les moeurs…
@G L,
Je tire la même conclusion. D’ailleurs, en scrutant l’histoire on découvre la démocratie éphémère et locale systématiquement phagocytée par les empires et les cléricatures féroces.
Merci Auteur François Leclerc :)Des bisous !