LES INÉGALITÉS ONT FRANCHI UN SEUIL, par François Leclerc

Billet invité.

Face aux haut-le-cœur et aux nombreuses protestations suscitées par la situation dramatique des réfugiés, les autorités européennes tentent contre toute vraisemblance de se dédouaner de leur immense responsabilité, rajoutant l’hypocrisie à l’ignominie. En France, elles annulent l’une de leurs mesures répressives sans rien changer du reste, et en Italie elles allument un contre-feu. De quoi, espèrent-elles, pouvoir faire bonne figure.

Devant les caméras, le spectacle a commencé : « jusqu’à dix mille réfugiés pourront rejoindre sans risque l’Europe via des corridors humanitaires en 2018 », a fièrement annoncé le ministre italien de l’Intérieur Marco Minniti, à l’occasion de l’arrivée vendredi à Rome d’un premier groupe de 162 réfugiés. Composé de familles, mères seules et mineurs non accompagnés, ils proviennent d’Érythrée, d’Éthiopie, de Somalie et du Yémen. Sélectionnés parmi les plus vulnérables dans les camps libyens par le HCR, ils ont été d’emblée considérés par ses soins comme des réfugiés à qui l’on doit l’asile et non pas comme des demandeurs d’asiles dont on étudie le cas suivant des critères de plus en plus restrictifs, nuance de taille !

À Rome, il est également fait valoir que trente mille autres migrants ne bénéficiant pas du droit d’asile pourront être également rapatriés dans leur pays l’année à venir, une disposition nettement moins attractive vu les raisons impérieuses de leur exil. Mais tout ceci constitue une goutte d’eau au regard des centaines de milliers de réfugiés qui croupissent en Libye, dont la plus grande partie échappe au contrôle du gouvernement de Tripoli et se trouve soumise aux pires traitements. Et l’on attend toujours le résultat de l’enquête annoncée par le gouvernement de Tripoli à propos de la vente d’esclaves filmée par CNN et diffusée dans le monde entier.

En dépit de la coopération développée entre les garde-côtes italiens et libyens et d’accords négociés sous le manteau avec les passeurs, 120.000 réfugiés sont encore parvenus à rejoindre l’Italie par leur intermédiaire cette année, contre 180.000 en 2016. Vu les moyens mis en œuvre, cette décrue va se poursuivre mais reste aux yeux du ministre insuffisante, lui faisant déclarer que de nouvelles « mesures crédibles » de fermeté devront être prises afin de l’accélérer. Sans doute veut-il dire par « crédibles » qu’il ne faut pas dans ce domaine s’en tenir aux mots.

Prises par surprise par l’ampleur de l’exode des réfugiés et tentant avec de grandes difficultés à les rejeter dans leur très grande majorité, les autorités européennes savent ne pas être au bout de leur peine. Aux guerres va succéder un autre puissant moteur et il faut s’y préparer.

Plusieurs études ont mis en garde contre l’ampleur des effets déstabilisateurs du changement climatique. Selon les chercheurs de la dernière d’entre elles, parue dans la revue Science, il faut attendre de la poursuite au rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre un important afflux migratoire supplémentaire d’ici à la fin du siècle. Il est question de centaines de millions de réfugiés frappant à la porte de l’Europe chaque année, leur nombre dépendant de l’ampleur de la hausse de la température mondiale. Il faut s’y préparer.

Une fois atteint un certain seuil, les inégalités ne sont plus soutenables, qu’elles se manifestent entre régions du monde ou à l’intérieur de celles-ci et d’un même pays. Ériger des murs de toutes sortes devient la solution : seuls les capitaux et les marchandises peuvent s’en affranchir sans conditions.