LE BITCOIN UNE SOLUTION DE SPÉCULATION PAR DÉFAUT ? par François Leclerc

Billet invité.

Dans le monde financier, les avis à propos du bitcoin et des crypto-monnaies sont pour le moins partagés. Pour certains elles sont dangereuses, chez d’autres qui ne s’en cachent pas elles suscitent beaucoup d’espoirs. C’est que, dans l’air du temps, elles s’inscrivent parmi ces phénomènes de disruption désormais qualifiés d’ubérisation, qui semblent irrésistibles. Avec comme principale qualité revendiquée que l’État n’a plus son mot à dire. Ce qui laisse entière la question de savoir ce qui va lui succéder.

Si le rôle premier de la monnaie est de faciliter les échanges, celui du bitcoin pourrait en premier lieu être de favoriser la spéculation (bien qu’elle soit déjà omniprésente sur le Forex, le marché des changes). Sa volatilité prononcée en fait un rêve aux yeux de ceux qui sont à la recherche de rendements élevés et ne craignent pas les émotions fortes. Le bitcoin est sans conteste l’instrument par excellence de la pure spéculation. Et une monnaie dont la valeur unitaire passe de 2.000 dollars en mai dernier à 11.000 dollars ce mois-ci ne peut pas laisser indifférent ceux qui en font leur miel.

Les gérants de hedge funds ne s’y sont donc pas laissés tromper, le nombre de ceux qui investissent dans les crypto-monnaies est passé de 53 à 169 en l’espace des trois derniers mois, selon la société de recherche Next. Les plates-formes d’échange avec les monnaies « traditionnelles » ont de leur côté enregistré l’ouverture de dizaines de milliers de comptes. Déjà significative, la capitalisation totale du bitcoin s’élève à environ 180 milliards de dollars, selon les données de coinmarketcap.com.

Les détracteurs du bitcoin sont pourtant légion. Pour Randal Quarles, un des gouverneurs de la Fed, les crypto-monnaies pourraient créer une menace pour la stabilité financière lorsqu’elles seront davantage utilisées. François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, considère que « c’est un actif spéculatif. Sa valeur et sa forte volatilité ne correspondent à aucun sous-jacent économique et ne sont la responsabilité de personne ». Et la Chine a banni les échanges de monnaies cryptographiques de ses plates-formes.

Comme le remarque Larry Fink, le patron de BlackRock, le plus grand fonds d’investissement, « le bitcoin vous donne la mesure de la demande mondiale de lessivage de l’argent », en référence à ce mélange entre l’argent « sale » et celui qui est supposé ne pas l’être, les deux au final ne se distinguant plus, une fois passés par les paradis fiscaux dont c’est une des fonctions. Tout aussi critique, Joseph Stieglitz demande que le bitcoin soit déclaré hors-la-loi, ne rencontrant du succès qu’en raison de son manque de surveillance, car « il ne sert aucune fonction socialement utile ». Pire, il traîne la réputation sulfureuse d’être « la monnaie du crime », associée à toutes ses formes, et d’être le moyen de paiement préféré sur le dark web.

Mais on ne s’en étonnera pas, Jamie Dimon, le PDG de JPMorgan Chase, est plus pragmatique. S’il dénonce le bitcoin comme étant « une fraude », il ne s’interdit pas de réfléchir à la réponse à apporter à ses clients. A la tête de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, n’est pas sur une autre longueur d’onde, déclarant ne pas y croire mais ne demandant qu’à se tromper, remarquant que ce ne serait pas la première fois que ce serait le cas… Les marchés ont toujours raison quand il s’agit de faire de bonnes affaires, même sur le dos des clients !

Premiers frémissements annonciateurs, trois plates-formes boursières américaines – le Nasdaq, le Chicago Mercantile Exchange (CME), la CBOE – plus le courtier Cantor Exchange – ont coup sur coup annoncé lancer et traiter des contrats à terme (futurs) en bitcoin, un signe d’intronisation dans le monde des grands. La Commodity Futures Trading Commission (CFTC), l’autorité de régulation des marchés à terme et des produits dérivés, avait précédemment autorisé LedgerX à fournir des services de compensation pour les swaps de devises numériques. En Europe, un premier fonds de gestion dédié au bitcoin a été lancé. Ce n’est qu’un début, mais toutes les mauvaises raisons se conjuguent pour que les acteurs de la finance s’accaparent un nouveau terrain de jeu et que leurs réserves initiales soient oubliées.

La Banque des règlements internationaux (BRI) s’alarme à propos de « l’effervescence de certains marchés boursiers », des niveaux records d’endettement et des valorisations boursières élevées. Elle demande aux banques centrales de relever leur taux d’intérêt dans l’espoir de calmer le jeu en dépit de la faiblesse persistante des rendements obligataires. Est-ce une occasion à saisir pour le bitcoin ? Son marché pourrait prendre le relais de celui des actions, même modestement, car ces dernières vont finir par avoir donné tout ce qu’elles peuvent en matière de rendement à force de grimper, et il ne faudrait pas trop insister pour que leur bulle finisse par éclater. Car rien ne présage que, dans le cadre du phénomène de balancier habituel, le marché obligataire soit en mesure de le faire.

Mais que peuvent les banques centrales qui ont enclenché la marche arrière ? Peuvent-elles brusquer la remontée de leur taux d’intérêt et risquer que de nombreux montages financiers effectués dans la période faste n’y résistent pas ?

Si l’on veut un peu extrapoler, le bitcoin serait-il le sauveur par qui le malheur arriverait grâce à l’ouverture d’une nouvelle salle du casino ? Ce serait bien dans la nature du système financier de générer son propre dysfonctionnement. Car sinon d’où viendrait ce sentiment qui fait consensus chez les praticiens de l’activité financière selon lequel les crises ne peuvent que se succéder ?