Billet invité.
« La Libye ne fait pas partie de la solution, elle est le problème. » En résumant ainsi la situation des réfugiés, Médecins sans frontières va à l’essentiel. Il a fallu un reportage télévisé de CNN sur la vente de réfugiés comme esclaves pour rendre intolérable aux yeux des gouvernements ce sur quoi ils les fermaient auparavant.
Zeid Ra’ad Al-Hussein, le haut-commissaire aux réfugiés, a déclaré que « la communauté internationale ne peut pas continuer à fermer les yeux sur les horreurs inimaginables endurées par les migrants en Libye, et prétendre que la situation ne peut être réglée qu’en améliorant les conditions de détention ». Mettant les pieds dans le plat, il a jugé « inhumaine » la politique de l’Union européenne consistant à « aider les garde-côtes libyens à intercepter et renvoyer les migrants ». Mais il prêche dans le désert.
Certes, les déclarations d’intention les plus déterminées ont fusé de tous côtés, mais leur absence d’impact est prévisible. Le nombre estimé de réfugiés qui se trouvent en Libye, et celui des innombrables camps dans lesquels ils sont détenus, rendent illusoires la perspective du rapatriement ne serait-ce que des plus exposés d’entre eux, sauf à des doses homéopathiques. Présenter devant les caméras quelques opérations isolées relève d’une stratégie de communication.
Sur les 400.000 à 700.000 réfugiés estimés présents en Libye, seuls 15.000 sont retenus dans des centres de rétention du gouvernement de Tripoli, et combien d’autres le sont dans des camps tenus par des milices où toutes les exactions sont permises ? Difficulté supplémentaire, beaucoup de ces réfugiés n’ont pas de papiers et ne veulent pas revenir dans leur pays, qu’ils ont fui désespérés, celui-ci n’étant par ailleurs pas toujours prêt à les accueillir.
À l’occasion du sommet Union européenne-Afrique d’Abidjan de fin novembre, Emmanuel Macron a prématurément fait état d’un accord afin d’évacuer les réfugiés menacés par des « actes de barbarie » grâce à une intervention « militaire et de police », ce dont il n’a plus été question par la suite. Certes, le Conseil de sécurité devrait inscrire le sujet à son ordre du jour, mais quelle sera la portée effective de sa résolution ? Il a été laissé s’installer une situation infernale, et les mesures destinées à empêcher les départs des réfugiés par la mer n’ont fait qu’empirer la situation sous prétexte de les protéger. Les réfugiés représentent une activité économique difficile à éradiquer, ne se résumant pas à l’activité de passeur, mais aussi à l’extorsion de fonds, au travail forcé et au commerce des esclaves.
Cette « situation épouvantable ne peut pas durer », a reconnu le commissaire européen Dimitris Avramopoulos, mais il a peu à proposer. Selon le plan défendu par la Commission au moins 50.000 réfugiés devraient être « réinstallés » dans les deux années à venir dans des pays européens, via « des voies d’entrée sûres et légales ». On est loin du compte.
Au niveau de l’Union, la refonte de la réglementation de Dublin qui a failli piétine et reste dans l’impasse. Mais, à l’instigation de la Commission, de bien mauvaises intentions se profilent. Une nouvelle règlementation instituant « une procédure commune en matière de protection internationale » est à l’étude au sein du Conseil européen, qui renierait les bases de la Convention de Genève de 1951 sur le droit d’asile (1).
Dans l’état actuel de son élaboration, la nouvelle procédure permettrait de déclarer irrecevables les demandes d’asile des réfugiés étant arrivés en Europe via « un pays sûr », et de les y renvoyer afin d’y être éventuellement pris en charge. Selon ce mécanisme, la majorité des réfugiés subsahariens pourraient être renvoyés vers les pays du Maghreb. La demande des prétendants à l’asile serait alors jugée selon leur itinéraire et non pas les risques encourus dans leur pays d’origine.
Après avoir réduit les départs des réfugiés depuis la Turquie et la Libye, sans parvenir à les supprimer, les autorités européennes cherchent à externaliser de manière radicale le droit d’asile. Si elles peuvent espérer que certains réfugiés actuellement installés en Jordanie, au Liban et en Turquie rentrent progressivement chez eux, un tel retour au pays est beaucoup moins certain pour les réfugiés arrivés en Libye. Reste l’hypothèse qu’ils soient accueillis au Niger, seul pays relativement stable du Sahel, qui pourrait perdre cette qualité et plonger d’avantage cette région dans le chaos.
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(1) En référence à l’article de Carine Fouteau dans Médiapart du 28 novembre dernier.