Billet invité.
On attendait une manifestation de rue, mais ce sont les routes, les autoroutes et les voies de chemins de fer catalans qui ont été coupées hier mercredi. Des dizaines de milliers de passagers ont été affectés par des annulations ou des retards, et des centaines de camions ont été bloqués.
C’est sous cette forme spectaculaire mais mobilisant moins de moyens que l’appel à la grève générale lancé par la centrale syndicale indépendantiste s’est le plus largement concrétisé, soutenu par l’Assemblée nationale catalane et Omnium Cultural, les deux puissantes associations indépendantistes.
En attendant la manifestation prévue pour samedi, les salles d’audience des tribunaux ont pris le relais dans les médias. L’Audience nationale a eu la main lourde en infligeant la prison préventive aux huit membres destitués du gouvernement catalan qui s’étaient présentés à elle, sa dureté tranchant avec la souplesse dont a fait preuve jusqu’à maintenant la Cour suprême à l’égard de la présidente du Parlement catalan Carme Forcadell et de cinq autres élus, mais va-t-elle se confirmer ?
À Bruxelles, la justice belge étudie la demande d’extradition de Carles Puigdemont et de ses compagnons d’exil qui sont sous le coup d’un mandat d’arrêt européen, et dont la dénonciation du « coup d’État » dont est victime la Catalogne ne suscite pas de grands échos parmi les autorités européennes qui serrent les coudes avec Mariano Rajoy. Dans les rues désertes du quartier des institutions européennes de Bruxelles, deux centaines de maires indépendantistes avaient mardi dernier défilé aux cris de « Liberta ! » en exigeant la libération des « prisonniers politiques ».
L’Audience nationale est critiquée par des juristes respectés pour avoir engagé des poursuites au motif de rébellion et sédition, ainsi que pour avoir placé en détention préventive les prévenus à la demande du procureur général. Selon des rumeurs invérifiables, le gouvernement madrilène prendrait ses distances avec cette ligne dure, soucieux de ne pas provoquer de violentes réactions en Catalogne. Il est de fait, en tout état de cause, que les actions de blocage des indépendantistes de mercredi n’ont pas donné lieu à des affrontements violents, comme si les forces de police ne les cherchaient pas non plus.
Les spéculations ne manquent pas, et certaines font état d’un éventuel projet de réunification sous la responsabilité de la Cour Suprême de toutes les poursuites engagées, y compris celles qui l’ont été par différentes cours de justice catalanes. Dans l’intention, est-il espéré, que soient levées toutes les mises en détention provisoires, y compris celles des deux dirigeants des organisations indépendantistes qui y ont été astreints en premier. Ce n’est pas cette dynamique qui a jusqu’à maintenant prévalu. Le parquet ayant ce soir demandé la mise en détention de Carme Forcadell et de trois des co-accusés sur cinq, le juge Pablo Llarena va-t-il ou non suivre ses réquisitions ? Si cela devait être le cas, cette hypothèse s’écroulerait.
La préparation des élections du 21 décembre bat son plein, et les regards sont tournés vers la gauche, qui finalement ne devrait pas rééditer la constitution du front commun de 2015, sauf revirement de dernière minute. Le PDeCAT de Carles Puigdemont, pour lequel les sondages annoncent un important recul, y était favorable afin de masquer celui-ci, mais la gauche indépendantiste catalane de l’ERC, qui a au contraire le vent en poupe, préfère avoir l’occasion de l’affirmer. Troisième composante de l’ancien front uni, l’extrême-gauche de la CUP est divisée sur l’opportunité d’une participation à des élections convoquées par Madrid. À l’arrivée, les sondages continuent d’accorder des scores très proches aux indépendantistes et unionistes. Donnant à Carles Puigdemont l’opportunité, depuis Bruxelles, de demander aux autorités de Madrid s’ils accepteront le verdict des urnes si les indépendantistes l’emportent…
Ada Colau et la coalition « Catalunya, Si que es Pot » (Catalogne, oui c’est possible), qui lui a permis d’emporter la mairie de Barcelone avec le soutien de Podemos, voudrait intervenir sur le terrain des questions sociales. « Il existe un espace politique où l’on peut revendiquer, non pas l’indépendance, mais des souverainetés, sur des sujets très concrets, qui touchent la vie des gens » explique le député catalan Lluís Rabell qui en avait été le chef de file. Mais cette démarche reste à contre-temps.