DES ICONOCLASTES À MATIGNON ! par François Leclerc

Billet invité.

Bien que le débat ne se soit pas vraiment engagé comme il le souhaiterait, hier à l’Eurogroupe, Emmanuel Macron s’est à Francfort donné « un an » lors de la Foire du livre pour « avoir une feuille de route commune » avec Angela Merkel. Jamais plus à son aise que lorsqu’il manie les grandes idées, loin de leur concrétisation !

France Stratégies, le « laboratoire d’idées » de Matignon que préside Jean Pisani-Ferry, prend donc en charge l’intendance. Comme s’il avait déjà entériné l’échec du président français, qui n’obtiendra pas le budget de relance de ses rêves, et qu’il fallait trouver une autre alternative pour venir à bout de l’endettement. Une note de travail fouillée de plusieurs chercheurs s’interroge sur ses modalités en posant la question taboue « comment assurer la résorption des dettes publiques en zone euro ? ». Pour y répondre, ils revendiquent de « sortir des sentiers battus », tout en reconnaissant que leurs solutions soulèvent de sérieuses difficultés politiques et juridiques d’application…

Le seuil de soutenabilité de la dette est impossible à établir, font-ils d’abord valoir, car il « dépend du niveau de la dette et du déficit public actuels, bien sûr, mais aussi de la trajectoire de croissance future de l’économie, ainsi que de celles de l’inflation, des déficits et du taux d’intérêt demandé par les marchés. » Une dette est dite soutenable, est-il précisé, tant que les engagements vis à vis des créanciers peuvent être honorés et que la continuité des services publics est assurée.

Se penchant sur les résultats que l’on peut attendre d’une politique budgétaire rigoureuse, telle qu’actuellement pratiquée, ils remarquent qu’elle n’est pas sans risque. « En effet, elle ne peut porter ses fruits que dans quinze ou vingt ans, si bien qu’elle laisse vulnérables les États fortement endettés si un choc économique externe devait survenir d’ici là ». Son défaut aurait pour l’ensemble de la zone euro des conséquences « démesurées ».

Ils ajoutent que cette politique a comme effet une « rétroaction défavorable de l’ajustement budgétaire sur la croissance », et ne fonctionne qu’à condition que soient dégagés durant toute cette période des excédents primaires (hors charge des intérêts de la dette) supérieurs à 2 ou 3 points de PIB… Quant à « autoriser d’une inflation plus élevée » pour réduire la dette, cela supposerait de savoir comment s’y prendre…

Alors, comment supprimer l’obstacle qu’elle représente ? La solution d’une restructuration pure et simple des dettes publiques, les pertes étant assurées par les créanciers, n’est pas envisageable pour les auteurs car déclenchant une crise financière et économique massive mettant en danger l’intégrité de la zone euro.

Pour éviter de s’y trouver contraint, la première piste explorée reposerait sur le MES et la capacité – qu’il faudrait lui donner – de procéder à un swap de taux d’intérêt avec un État surendetté. Selon ce mécanisme, l’institution européenne percevrait un intérêt indexé sur la croissance effective de ce dernier et réglerait à maturité le coupon à taux fixe au créancier obligataire. Cette solution aurait l’avantage de ne pas induire de tensions dépressives, mais elle se trouve en contradiction avec la volonté des autorités allemandes d’user au contraire comme d’une contrainte de la pression du marché…

La deuxième piste évite de faire appel à une aide extérieure. Le gouvernement en péril déciderait de taxer la rente immobilière que représente la valorisation de la propriété résidentielle. Cet impôt pourrait être soit versé annuellement, soit lors de la vente du bien ou de sa transmission par voie d’héritage. L’augmentation du poids des prélèvements obligatoires ne pèserait pas sur la croissance de l’économie et ferait porter l’effort sur la seule richesse patrimoniale. « La soutenabilité d’une dette publique excessive pourrait être crédibilisée en rééquilibrant comptablement le bilan patrimonial de l’État. » Ils ont calculé que l’Italie pourrait ainsi ramener sa dette publique à 40 points de PIB, si cette taxe représentait 25% de la valeur en question.

La dernière option fait appel à la BCE, qui achèterait une partie de la dette des États membres en échange d’obligations perpétuelles à taux zéro, une solution déjà préconisée par Adair Turner.

Dans sa conclusion, France Stratégie souligne que « le débat mérite d’être abordé à froid », laissant transparaitre la crainte qu’il ne le sera qu’à chaud !