Réfugiés : BELLES PAROLES ET SORDIDES ACTIONS, par François Leclerc

Billet invité.

Au cours de la rencontre d’hier consacrée à définir les grandes lignes d’un plan destiné à barrer la route vers l’Europe des réfugiés au départ de la Libye, on a croulé sous les bons sentiments si l’on en croit les comptes-rendus. Plus question de mettre en place au Niger et au Tchad des « hotspots », mais des « centres d’orientation » ainsi bien mieux nommés, voire même des « missions de protection ». Les réfugiés n’auront jamais fait l’objet d’autant d’attentions… en paroles.

Peu de détails ont été fournis sur ces structures qui permettront d’éviter « à des femmes et des hommes de prendre des risques inconsidérés dans une zone extrêmement dangereuse, puis en Méditerranée » comme Emmanuel Macron les a hypocritement présentés. L’objectif est de « lutter contre les réseaux criminels qui organisent le trafic d’êtres humains », a-t-il ajouté, ainsi que d’ « éviter de tuer le système du droit d’asile », qui risque de s’écrouler. Que de bonnes intentions ! Ainsi que l’ONG La Cimade l’a sans tarder fait remarquer « on repousse la frontière européenne dans des pays de plus en plus lointains ».

Destinées à « délocaliser l’instruction des dossiers », la mission de ces structures a varié. Il a d’abord été question de repérer « ceux qui ont de bonnes chances d’être éligibles au droit d’asile » – d’opérer en quelque sorte une présélection – puis ensuite de les identifier sur la base de listes fournies par le Haut- commissariat aux réfugiés (HCR). Où et comment celles-ci seront-elles établies ? cela n’a pas été précisé.

Peut-être dans les camps de transit déjà existants au Niger, qui sont gérés pour certains par le HCR et par l’Organisation internationale des migrations (OIM) pour d’autres. C’est le modèle déjà appliqué en Jordanie, au Liban, en Turquie, qui permet de délivrer le ticket d’entrée en Europe avec la plus grande parcimonie : pour ces trois pays, 5.500 réfugiés en tout et pour tout en ont bénéficié au cours des deux dernières années.

Les participants à la réunion se sont moins étendus sur les mesures policières et militaires destinées à étrangler le flux des réfugiés, conscients que les milliers de kilomètres de frontières désertiques du Niger et du Tchad avec la Libye ne se prêtent pas spécialement à leur bouclage. La lutte contre des passeurs à la tête d’un juteux business est par ailleurs difficile à mener étant donné ses retombées financières locales qu’il faut remplacer, et le plan de fermeture de la frontière proposé par le général Khalifa Haftar – le rival du premier ministre libyen Fayez-al Sarraj – est financièrement hors de portée et politiquement scabreux.

Le même jour, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a présenté un rapport dénonçant de multiples atteintes aux droits de l’Homme en Libye à la suite d’une enquête sur le terrain de l’Unsmil, la mission de l’organisation dans le pays. Celle-ci s’est limitée aux centres de détention officiels du gouvernement, qui sont une vingtaine et où sont regroupés entre 7.000 et 8.000 réfugiés. Mais elle n’a pas pu pénétrer dans celui de Mitiga d’où proviennent les annonces des pires exactions. Elle en a vu assez pour inciter Antonio Guterres à appeler les autorités « à relâcher immédiatement les plus vulnérables, notamment les femmes en danger, les femmes enceintes, les familles avec enfants, les enfants seuls ou séparés, et les handicapés ».

L’enquête a également souligné que « des groupes armés de tous bords continuent à prendre des gens en otage, à tuer et à recourir à la torture et aux disparitions, incluant des civils, en particulier des femmes et d’autres personnes non impliquées dans les combats ».

Les agences de presse rapportent que les dirigeants européens reconnaissent se faire peu d’illusions sur les résultats d’un travail allant être de longue haleine. De 800.000 à un million de réfugiés sont déjà présents en Libye. Ils seraient de 400 à 500.000 au Tchad et des centaines de milliers au Niger, 300.000 pour la seule région de Diffa.