Billet invité.
L’accès prolongé de faiblesse de l’inflation que nous connaissons n’est pas le moindre de tous les mystères qui suinte désormais du monde financier. Après avoir pendant des décennies eu comme principale mission de la contenir, les banques centrales renversent désormais la vapeur et cherchent désormais à la relever. Mais elles n’y parviennent pas, leurs instruments monétaires se révélant défaillants, ce qu’elles traduisent en constatant la défaillance de la transmission de la politique monétaire qui ne fonctionne plus comme avant.
Cet autre mystère n’en est pas vraiment un, car il suffit pour le dissiper d’observer que les liquidités des banques centrales ne descendent pas dans l’économie et servent des fins purement spéculatives. Pourquoi alors l’inflation persiste à rester à un si faible niveau ? On avait noté la prudence des banquiers centraux à ce sujet, on enregistre aussi leur désarroi. « Je me demande parfois s’il n’y a pas quelque chose de plus global, plus technologique qui se déroule et que l’on ne cerne pas bien » s’interroge Charles Evans, le président de la Fed de Chicago. Une observation a néanmoins mis la puce à l’oreille des plus perspicaces : la courbe de Phillips, qui illustre de manière empirique la relation inverse qui relie le taux de chômage et l’inflation, a totalement changé de physionomie et ne l’exprime plus. Bien que suscitant des discussions sans fin – dans des cénacles tout de même assez restreints – elle faisait toutefois référence chez les analystes. Patatras, voilà encore une certitude qu’il faut abandonner ! *
Trouver dans la situation de l’emploi ainsi que dans les revenus salariaux l’origine du niveau de l’inflation impliquerait de ne pas se contenter des moyennes trompeuses. Si le taux du chômage est revenu dans les clous aux États-Unis, celui de l’emploi apporte un tout autre éclairage. Quant aux revenus, une autre approche consiste à observer l’évolution du crédit aux particuliers, dont l’accroissement actuel reflète à la fois ses bas taux, qui le rend plus accessible, et la nécessité d’y faire appel pour maintenir son niveau de vie.
À cet égard, une gueule de bois liée au crédit est diagnostiquée pour bientôt aux États-Unis. L’économiste en chef de FTN Financial Christopher Low l’anticipe : « Nous avons conditionné les Américains à s’endetter pour combler le fossé entre leurs salaires et leurs dépenses. Lorsque la Fed montera son taux, les emprunteurs à risque auront les premiers les doigts coincés ».
Un même essor du crédit est également observé au Royaume-Uni, où les encours du crédit à la consommation ont progressé de 10% en un an, faisant craindre un dérapage à la Banque d’Angleterre. Dans le langage d’un analyste de chez Schroders, un groupe de gestion d’actifs britannique, cela donne ceci : « La disponibilité du crédit et une amélioration de la confiance du consommateur ont eu pour effet d’encourager les ménages à consommer davantage même si, parallèlement, les salaires en termes réels se sont contractés ».
L’intention n’est pas, en évoquant la croissance du crédit, d’annoncer une réédition de la crise des subprimes, mais de mettre en évidence le mécanisme en vertu duquel la consommation se maintient grâce au crédit (tant que cela durera). Et qu’il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que la configuration de la courbe de Phillips s’en ressente, car elle ne tient pas compte de ce facteur.
La conséquence s’impose : la faible inflation est une donnée durable, tout comme la faible croissance. L’une soulage du poids de l’endettement et incite à l’accroitre, l’autre entrave sa réduction. Mais ensemble elles ont une fin.
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* P.J. : La « courbe de Phillips » est l’une des plus belles illustrations du fait que la « science » économique contemporaine s’apparente davantage au marc de café qu’à quoi que ce soit de nature scientifique. Je lui avais consacré une chronique dans Le Monde du 29 septembre 2015 : L’étrange raisonnement de Janet Yellen.