LA BELLE EUROPE QUI SE PROFILE ! par François Leclerc

Billlet invité.

Il fallait une annonce pour le dernier conseil des ministres franco-allemand, et le projet d’un avion de combat commun a fait l’affaire. Mais si le symbole est fort, l’entreprise est de très longue haleine et se limite à un geste politique à court terme. Pour le reste, c’est à dire les propositions de budget et d’un ministre de l’économie européen – la grande affaire d’Emmanuel Macron – Angela Merkel s’est contentée de laisser la porte ouverte en prononçant un laconique « on peut en parler » en sortie du conseil.

Tous les commentaires convergent : la proximité des élections allemandes de septembre explique que la chancelière ne s’engage pas plus avant, comme si tout allait pouvoir se dénouer naturellement une fois ce cap passé. Mais cette tentative d’ouverture par la bande du président français, qui se garde bien de toucher au nœud de la politique européenne, risque également de se résumer à des actes à portée symbolique, un exercice dans lequel il semble se complaire. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire !

Emmanuel Macron a un autre grand dessein, qu’il veut également faire partager à Donald Trump. Celui d’une « Alliance pour le Sahel » destinée à promouvoir son développement économique. Plus prosaïquement, il voudrait également partager le financement de l’opération militaire Barkhane dans les pays du Sahel – contraintes budgétaires obligent – et faire d’une pierre deux coups : anéantir les djihadistes et couper la route aux réfugiés avant qu’ils n’atteignent la Libye.

Ne pas faire de vagues continue d’être en attendant le mot d’ordre principal. Les plus hautes autorités préparent la fin du sauvetage de la Grèce en beauté, tout du moins de leur point de vue, en la pressant de solliciter le marché obligataire afin qu’elle obtienne son onction et puisse s’en prévaloir. Tout en poursuivant bien entendu les réformes qui l’étranglent. C’est la raison pour laquelle la Commission a décidé de clôturer la procédure de déficit excessif dont elle était frappée, un geste assorti d’un déplacement de Jean-Claude Juncker à Thessalonique où il a déclaré : « Oui, désormais le pays va bien », en ajoutant « je voudrais rendre hommage surtout aux plus pauvres des citoyens qui ont souffert beaucoup plus que les autres, au citoyen moyen qui a fait d’énormes efforts ». Ils lui en seront à coup sûr reconnaissants.

La Commission ne ménage pas ses efforts à l’égard de l’Italie, sachant que ce sera une autre paire de manches que la Grèce s’il faut s’y coller. Et il ne suffit pas, pour l’éviter, de fermer les yeux sur un sauvetage fort peu orthodoxe dans son esprit, celui des banques italiennes dont la vente est financée sur fonds publics. Le commissaire Pierre Moscovici, qui se verrait bien appelé à de plus hautes destinées, explique au chevet de l’Italie qu’il est tenté « de tracer un chemin constructif entre les marges possibles dans les règles et les déviations non autorisées », on ne peut mieux signifier où ils en sont ! La commission a donc donné son feu vert à la demande italienne de limiter à 0,3% son effort de réduction du déficit en 2018, posant comme condition qu’elle poursuive son objectif de réduction du rapport dette/PIB, qui a atteint 132,6% en 2016. Selon les règles européennes, il ne devrait pas dépasser 60%…

Du propre aveu de Klaus Regling, le patron du Mécanisme européen de stabilité (MES), « une discussion sur le renforcement de l’union monétaire » se déroule, qui ne parvient pas distinctement à nos oreilles. On ne connaissait que l’intention de Wolfgang Schäuble, qui a brûlé la politesse au FMI en annonçant que celui-ci « ne participerait plus à un programme de sauvetage ». Il souhaite que le MES soit transformé en « Fonds monétaire européen » au prétexte noyant le poisson que « les règles du FMI correspondent à un pays qui dispose de sa propre monnaie, mais non pas à un pays membre d’une union monétaire ». Il prépare ainsi l’enterrement de première classe d’une restructuration de la dette grecque digne de ce nom. Reconnaissant que les prêts accordés à la Grèce avaient permis d’obtenir « quelques résultats mais n’ont pas résolu le problème », il pressent qu’un autre dispositif financier doit être mis en place pour faire face dans l’avenir. Nous y voilà !

Klaus Regling a donc commencé à lever le voile sur celui-ci dans le quotidien économique allemand Handelsblatt. La BCE exclue de la partie, le MES pourrait jouer, en partenariat avec la commission, le rôle d’un fonds destiné aux jours de pluie, afin de déjouer toute tentative de soutien financier de nature budgétaire, qu’il soit national ou européen (suivez mon regard). Les pays faisant face à une crise financière sérieuse menaçant la stabilité de la zone euro – sans plus de précision – pourraient bénéficier d’un soutien financier. Le fonds disposerait d’une enveloppe de 100 à 200 milliards d’euros, à comparer avec les 700 milliards d’euros que le MES est actuellement autorisé à mobiliser. Mais rien n’est dit à propos des pré-conditions pouvant accompagner ce qui s’apparente à une ligne de crédit.

Le proche avenir réserve d’autres surprises. L’application début 2018 d’une nouvelle règle comptable, la norme IFRS 9, renvoie à la crise bancaire européenne qui se poursuit. Les banques subissent, comme on le sait également, un trop-plein de prêts non performants sous l’effet des mesures d’austérité et de la faiblesse de la croissance. Cette norme impose notamment une autre méthode de valorisation des actifs détenus aux bilans bancaires. Les banques vont devoir provisionner non plus les pertes déjà encourues, mais celles qui pourraient survenir.

L’Autorité bancaire européenne (EBA) a déjà estimé à 18% l’augmentation de ces provisions qui devrait en résulter, ce qui pèsera sur les ratios prudentiels et imposera un renforcement des fonds propres.

On peut s’attendre à ce que des aménagements de dernière heure soient concédés, afin au moins d’étaler la peine, et parallèlement à ce que la réflexion sur la création de bad banks nationales progresse à grand pas ! Ce qui reviendra à faire revenir discrètement par la porte de derrière ce qui a été bruyamment évacué par celle de devant, à savoir le renflouement des banques sur fonds publics…