GROS SOUCIS PRATIQUES ET THÉORIQUES À LA BCE, par François Leclerc

Billet invité.

La lecture des minutes de la réunion de juin de la BCE rend compte des incertitudes qui y règnent, et de sa prudence en conséquence. Les investisseurs sur le marché obligataire sont pour leur part aux aguets, venant d’exprimer leur nervosité en réagissant au débat interne portant sur la suppression de la promesse d’augmenter les achats de titres si besoin, qu’il a été décidé de maintenir ! Ce n’était pourtant pas la mer à boire, mais les taux ont immédiatement remonté, témoignage de leur forte sensibilité.

Les investisseurs ne veulent pas se retrouver avec des titres dévalués lorsque la banque centrale entamera la révision de sa politique accommodante, car cela en sera l’un des effets. Il y a donc du bon et du mauvais dans cet ajustement, soumettant la BCE à des pressions contradictoires. N’ayant comme seule issue que l’adoption d’une attitude pragmatique, elle ne peut envisager qu’une lente remontée des taux obligataires afin de ne prendre personne par surprise. À la faible volatilité enregistrée sur les marchés financiers pourrait facilement succéder un emballement contraire des transactions à la résultante inconnue.

Son mandat officiel est de garder l’œil fixé sur la ligne bleue de l’inflation, mais elle a en réalité bien d’autres critères d’appréciation de sa conduite, au vu de son rôle déterminant. Et elle animée, comme le rappelle Benoit Cœuré, l’un de ses gouverneurs, par la crainte de susciter ce qu’il appelle pudiquement « des désordres sur les marchés financiers ». Si l’un des critères des gouverneurs de la BCE est la reprise économique, celle-ci est néanmoins prise avec des pincettes. Elle est considérée comme fragile, car elle est « de nature conjoncturelle et repose sur le soutien important apporté par la politique monétaire », remarque encore Benoit Cœuré.

Sur le fond, un phénomène inédit est source de profonde interrogation au sein de la BCE : le retour de la croissance économique n’est pas accompagné comme il se devrait de celui de l’inflation, dont la cible de 2% par valeur inférieure ne semble pas atteignable. Comme tant de modèles, celui-ci ne fonctionne plus, laissant les responsables de la BCE démunis, car ils n’en disposent pas de rechange. À cet égard, l’intervention lors d’une conférence tenue à Paris de Peter Praet, son économiste en chef, doit être retenue. Il s’est penché sur le taux de mesure élargi du chômage, qui prend en compte les temps partiels subis. Pour la zone euro, il est établi à 18% de la force de travail. Mettant sans nul doute le doigt, sur les traces initiales de Janet Yellen de la Fed qui n’en parle plus, sur une donnée à introduire dans un nouveau modèle…

Dans la même logique, la qualité du travail et sa précarité devraient également l’être, renvoyant à l’idée que la science économique doit de toute urgence bénéficier d’autres apports et ne pas rester splendide dans son isolement. On a honte de rappeler une telle platitude.