Billet invité.
La jungle de Calais est l’objet de toutes les sollicitudes, maintenant que les 7.000 réfugiés qui à la fin y survivaient en ont été évacués manu militari. Les travaux de réhabilitation de cette zone d’une vingtaine d’hectares y ont débuté. Et, pour plus de précaution, un déboisage est prévu, tout étant mis en œuvre pour effacer les traces de ses occupants à titre très précaire et rendre le lieu impraticable s’ils s’avisaient de revenir.
Le directeur du conservatoire du littoral Loïc Obled a-t-il mesuré tout le sens de son propos en évoquant « un site qui a beaucoup souffert » ? La nature va reprendre ses droits, entend-on dire du côté des officiels chargés de cette noble tâche. Un sanctuaire destiné aux oiseaux migrateurs va être aménagé, signe de respect pour la migration des oiseaux à défaut de celle des humains. Mais la lande de Calais ne sera pas un lieu de mémoire comme il en est tant, qui poussent comme des champignons à l’image des ronds-points routiers. Aucun monument, aucune stèle ne sera érigé, l’oubli est au contraire programmé.
On retrouve une même volonté d’effacement dans un domaine d’activité fort éloigné et controversé, celui de l’industrie électronucléaire. Ses acteurs abordent un démantèlement d’une toute autre envergure, celui du parc des centrales nucléaires frappées par la limite d’âge. Le temps que ce gigantesque chantier mettra et ce qu’il coutera, à l’habitude sous-provisionné, importent peu dans la vision finale qui en est présentée. À la fin des opérations, rien ne subsiste des installations initiales et du danger potentiel qu’elles recèlent dans les images de synthèse de propagande de l’opérateur historique. Elles représentent des étendues verdoyantes et arborées du plus bel effet, où souffle un vent léger, la vie ayant cette fois-ci repris ses droits. Seuls des bancs de pique-nique manquent à cette vision idyllique. La surface des lieux où il est prévu d’enterrer les déchets à la radioactivité la plus virulente et durable bénéficient du même traitement virtuel. L’avenir radiologique s’annonce sous des abords radieux.
La mémoire est comme chacun sait sélective et rien n’interdit de la mettre de son côté lorsque des caps difficiles sont à passer. Les plus hautes autorités européennes sont embourbées dans une crise des réfugiés qui n’arrête pas de rebondir. Le gouvernement autrichien menace de déployer des troupes à sa frontière du col du Brenner avec l’Italie. La Commission dévoile un plan mobilisant une misère de crédits et reflétant son impuissance. Le chacun pour soi prévaut et l’irréalisme caractérise les mesures envisagées par les ministres de l’intérieur confrontés à la guerre civile libyenne, dont l’impuissance est plus éclatante que ne le sont les motivations humanitaires.